30 décembre 2007

Le président grenouille

Louxor, Carla Bruni... pour finir, on pourrait ne plus savoir quoi en dire : toute tentative même de modeste mise en perspective sera immanquablement requalifiée en jalousie, ringardise... Raphaël Anglade écrit:

[Sarkozy] espère peut-être renvoyer la gauche geignarde au rang de pucelle effarouchée et la droite bourgeoise au rang de bigote peine à jouir.

Toute critique, toute protestation ne fait que confirmer comment le Très Grand Homme (TGH) est Grand, au-dessus des bêtises et des vieilleries. Non seulement la vie de jet-setter lui est parfaitement naturelle, un poisson dans l'eau, mais elle est, malgré sa vulgarité, le signe incontestable de sa supériorité. Et si on pousse un peu plus loin, il n'est pas difficile de voir dans cette posture une sorte de populisme à l'envers, où le TGH se représente comme l'un des héros modernes des tabloïdes, censés être l'étoffe des rêves du petit peuple, dénigrés par les "donneurs de leçons" et autres pédants moralisateurs, mais appréciés par les "vrais gens", qui d'ailleurs savent reconnaître un tout aussi vrai patron (à ses lunettes de soleil et aux mensurations de sa maîtresse...?).

Devant un tel édifice, ce n'est pas simple de savoir où commencer pour en saper les fondations. Au PS, la différence de réaction entre la plupart des cadres et Ségolène Royal. Ceux-ci dénoncent la participation de Bolloré à ce voyage, participation qui est effectivement dangereuse sur de nombreux plans. Malheureusement, sa gravité est difficile à expliquer de façon télévisuelle, surtout quand Bolloré contrôle pas mal de ce qui se passe dans nos télés. Ségolène Royal, au contraire, est plus efficace quand elle met

« en cause l'indépendance et la dignité de la fonction présidentielle», lui demandant de cesser de «provoquer par son comportement ostentatoire» (Libé).

C'est plus efficace parce qu'elle donne une forme rationnelle à un vague sentiment de révolte (mais l'UMP dirait peut-être jalousie encore une fois) ressenti, malgré tout, chez bien de supporteurs du Président dans ces mêmes classes populaires. Sarkozy est en train de bousiller sa propre position, dégrader la présidence et donc la France avec.

Quand j'ai commencé ce billet, j'étais assez pessimiste sur la capacité de réactino de nos citoyens, car il eût fallu qu'ils réagissent non seulement contre celui qui est malgré tout leur président, mais aussi, et surtout, contre le papier-glacé, contre la nouvelle narration de ce qui est censé être une grande histoire d'amour. Et pourtant, Sarkozy s'affaiblit (via Dagrouik), car le 20 et 21 décembre l'IFUP constate "une baisse de confiance massive".

Les images de Louxor qui étaient censées boucher cette faille de l'armure du TGH, pourront-elles aggraver au contraire sa situation? L'histoire avec Carla Bruni nous est vendue comme une sorte de conte de fées. Un jour, à ce rythme, ce ne sera plus la grenouille et la princesse, mais la grenouille et le boeuf, le TGH en train de se gonfler médiatiquement jusqu'au jour où...

Mais voilà le problème : y a-t-il quelqu'un, quelque chose qui pourra faire dérailler l'histoire que Sarkozy et les médias nous préparent? Ségolène Royal, en légitimant la réaction négative aux frasques présidentielles, est sur la bonne piste, mais il faudra autre chose pour que le ridicule, l'incompétence et l'outrecuidance de Monsieur Sarkozy deviennent une évidence publique.

28 décembre 2007

Citez vos sources!

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Voulant, comme toujours, suivre les bonnes pratiques de blogage, je prend exemple sur PMA et donne le classement des blogs qui ont eu la gentillesse d'envoyer des visiteurs chez moi:

  1. Sarkofrance : 965 visites! (Merci Juan!)
  2. Les Vigilants : 400 visites. C'est beaucoup et ça témoigne du succès instantanté de ce projet.
  3. Betapolitique : 392 visites.
  4. Sauce : 298 visites.
  5. Partageons mon avis : 284 visites.
  6. Intox2007 : 162 visites.
  7. Filaplomb : 100 visites.
  8. Kolkhoze.com : 84 visites (grâce à 1 ou 2 commentaires seulement, c'est bizarre).
  9. Sarkozy sous surveillance : 77 visites.
  10. Place assise non numérotée : 74 visites.
  11. Peuples : 54 visites.
  12. La France de demain : 46 visites.
  13. Lait d'beu : 41 visites.
  14. A tort ou à raison : 32 visites.
  15. Le monde de nea : 30 visites. (Au fait c'était l'ancien site...)

Voilà donc le top-15. Merci à tout le monde!

26 décembre 2007

Où je lis un peu d'histoire

Enfin un billet qui ne parle pas de Sarkozy. J'étais en train de feuilleter un bouquin d'histoire, La France de 1940 à nos jours, par Marc Agulhon, André Nouschi et Ralph Schor (Armand Colin, 1995 et 2002), et je lisais ceci:

...dès le lendemain 11 juillet 1940, Pétain promulgua trois actes constitutionnels qui réorganisaient totalement l'exercice de l'autorité suprême : la présidence de la République était abolie, le maréchal assumait à la fois les fonctions de chef de l'Etat et de chef de gouvernement. Cumulant les pouvoirs législatif et exécutif, il nommait et révoquait à son grè les ministres, tout cela sans contrôle parlementaire puisque les assemblées étaient ajournées jusqu'à nouvel ordre. [...] La disparition du principe de la séparation des pouvoirs, la concentration de la quasi-totalité de ceux-ci dans les mains du maréchal, la désignation officielle d'un héritier, Pierre Laval, le 12 juillet, montraient bien que le nouveau régime, répudiant les références républicaines, démocratiques, libérales, prenait la forme d'une "monarchie" autoritaire [...].

Le caractère personnel de l'Etat français de Vichy était encore accru par la conception que Pétain lui-même avait de l'exercice du pouvoir et par certaines pratiques du nouveau régime. Face aux Français, le maréchal voulait se comporter à la fois en chef et en père. Il était jaloux de son autorité et considérait que son pouvoir venait d'en-haut [...].

Ca fait du bien de parler d'autre chose, de temps en temps.

25 décembre 2007

Père Noël et Père Fouettard

A propos de notre Très Grand Homme (TGH), Nicolas Sarkozy, la formule "Père Fouettard ou Père Noël" est en train de devenir un lieu commun, à juste titre, d'ailleurs, tant ces deux caricatures sont finalement assez peu caricaturales.

Alors, puisque nous sommes le 25 décembre, nous avons toutes les raisons d'essayer de comprendre cette situation. Souvent, on voudrait y voir une sorte de contradiction, genre Docteur Jekyl et Monsieur Hyde. Le TGH n'est pas, bien entendu, à une contradiction près, mais, dans l'esprit de Noël, je pense que je peux trouver de bonnes raisons pour dire que les deux Pères qui habitent notre président baignent dans une entente parfaite et sans failles. Ou, pour le dire plus sèchement : il y a une continuité théorique parfaite entre les deux.

La clef du système est dans le point de vue individuel. En somme, ce n'est pas un système, du moins pas un système politique. La clef, c'est: je te donne tout ce que tu veux, tandis que les autres, on les emmerde, toi et moi. Le "je" ici ne peut qu'être Sarkozy. Il n'y a qu'un seul je dans le système. Le "tu", en revanche, peut être n'importe qui : un fonctionnaire, un FARC, un chômeur, un Guide, un électeur Front National, un socialiste "ouvert"... peu importe. N'importe quel être humain, n'importe quel groupe peut, le temps d'une phrase ou deux, se trouver à la place de ce "tu" qui va enfin recevoir ce qu'il mérite. Le Père Noël arrive, mais n'est pas très grand, et il a des chaussures à glands.

Le communisme promettait le bonheur pour tous, grâce à la mise en commun des ressources. Sarkozy, quant à lui, est plus réaliste. En plus, il croit au mérite. L'argent, il ne peut pas le fabriquer. Donc il faut le prendre quelque part. Si on le prenait chez les autres? Je te donne ce que tu veux. En plus, je le prend chez eux, les autres. De toute façon, les autres, on ne les aime pas. On les déteste, en y réfléchissant. C'est encore mieux que de promettre le bonheur pour tout le monde. Sarkozy promet le bonheur pour toi, et le malheur pour eux. Malheur bien mérité. Ils l'ont bien cherché, leur Père Fouettard.

Pour l'instant, son système marche surtout pour lui. Car le "tu", ça peut aussi être le TGH lui-même. Je (Sarkozy) te (Sarkozy) donne ce que tu veux. "Eh bien, je veux une super-augmentation de mon salaire." Tiens, la voilà ton augmentation. "Merci! Je veux aussi garder mon salaire de ministre!" Pas de problème! Pendant ce temps-là, les vieux pauvres sont appelés à payer leur redevance. Pendant ce temps-là, fait du chiffre sur les clandestins pour remercier électeurs Front National. Pendant ce temps-là... la liste est longue.

Être le Père Fouettard pour les autres, c'est finalement le meilleur moyen d'être le Père Noël pour toi (pas pour vous, cher(e) lecteur ou lectrice, évidemment, mais pour le toi mobile de la séduction sarkozyënne). Gentil, plein d'optimisme et de promesses pour toi, sévère, brutal avec eux. C'est largement mieux que l'utopie communiste, car chez eux même les autres étaient censés être contents. Alors qu'ils ne le méritaient pas du tout.

Le problème évident avec ce système qui n'en est pas un, c'est qu'il ne peut pas s'appliquer à tout le monde. Enfin, il ne pourrait pas s'il devait devenir un modèle de société. Si chacun est censé pouvoir se reconnaître dans ce "tu", il est difficile d'imaginer la société qui en resulterait, puisque évidemment, chaque tu est un eux pour les autres tu. Mais le sarkozysme n'est pas une pensée politique, c'est une technique de persuasion. Ce que l'on savait déjà.

Et sur ce, bon Noël!

23 décembre 2007

Le sarkozysme n'est pas une pensée mais une pratique

A tous les anti-sarko: si vous ne l'avez pas déjà lu, lisez cet article chez Mouvements : L'hémisphère droit. Comment la droite est devenue intelligente. Je l'ai vu la semaine dernière grâce à Betapolitique, il vaut largement le détour.

Le titre est évidemment provocateur, et ce que Jade Lingaard et Joseph Confavreux nous apprennent concerne moins l'intelligence, ou même la naissance d'une nouvelle droite théorique ou théorisée, que les techniques de l'ingénierie idéologique qui ont permis à Nicolas Sarkozy de remporter l'élection présidentielle. Il s'agit du

travail de fond [...] conduit par l'ancienne directrice des études et prospectives de l'UMP, Emmanuelle Mignon. Une offensive menée selon une stratégie idéologique troublante, mal perçue par la gauche pendant la campagne, qui emprunte à l'hélice de l'ADN sa rotation sur elle-même, tournant à la fois vers sa gauche et vers sa droite. Elle s'est traduite par l'intérêt du discours de l'UMP pour des sujets jusque-là identitaires de la gauche, s'appuyant sur les travaux de chercheurs de pointe, sans que la grille de lecture conservatrice ou libérale ne joue un rôle premier.

Ce qui impressionne, d'abord, c'est l'organisation de ce travail idéologique : d'abord Sarkozy crée une équipe qu'il confie à la (assez) jeune Emmanuelle Mignon; celle-ci, recrutée en 2004, organise dès janvier 2005 des "conventions thématiques", journées d'études et conférences. Les idées recueillies sont alors transformées en pré-programme, avec l'intervention du Boston Consulting Group (la première fois qu'une campagne fait appel à des consultants étrangers) pour faire "absorber" le programme aux cadres sarkozystes. Au printemps 2007, le programme est testé par des sondages très ciblés, les dernières mesures sont éliminées ou peaufinées. L'organisation est digne du lancement d'une nouvelle boisson sucrée, avec cette différence sans doute mineure, que l'on n'est pas en train de décider si la boisson doit avoir plus ou moins de bulles, mais des questions essentielles de notre grand vivre-ensemble.

Y a-t-il des leçons pour la gauche dans cette façon de faire? Oui, car il faut effectivement privilégier l'efficacité. Peut-on se faire élire sans son parti? Sarkozy a réussi en allant contre certaines structures et certains dogmes de l'UMP, mais grâce à des moyens très importants, y compris ceux du Ministère de l'Intérieur et de certains organes de l'UMP qu'il a su se mettre dans la poche.

Emmanuelle Mignon résume:

"Nous avons fait - je crois que c'est rare - une véritable expertise sociale au sein d'un mouvement politique. Et les valeurs sur lesquelles repose le projet de l'UMP sont d'autant plus fortes qu'elles ne procèdent pas d'une intention idéologique mais d'un certain pragmatisme.

Elle a l'air de dire que ce pragmatisme est quelque chose de bien, la nouveauté de Sarkozy par rapport à l'ensemble de ses prédécesseurs. Sauf que le pragmatisme de SarkoCorp n'est pas celui de l'éfficacité étatique, c'est-à-dire pas ce qui s'appelle une politique pragmatique, mais celui de l'éfficacité communicationnelle. Pas l'efficacité politique, mais l'efficacité du pouvoir : comment se faire élire, comment asseoir son pouvoir. Le "contenu" politique est secondaire. En somme, il ne faudrait pas vanter le pragmatisme de Sarkozy, ce n'est pas celui que l'on veut nous faire croire. Ce n'est pas la peine d'ériger le cynisme politique en valeur démocratique, après tout.

Tout cela est intéressant parce qu'il montre en détail le genre de machine politique avec laquelle on a affaire, ainsi que le niveau communicationnel désormais exigé de tout futur(e) candidat(e). Mais il y a aussi un aspect central du sarkoyzysme qui apparaît dans ce récit de la victoire glorieuse.

Tout se passe comme si la droite française avait fait siens certains des diagnostics sociaux portés par la gauche, quitte à y apporter ensuite des « réponses » de son crû. Il a fallu, pour élaborer le projet de Nicolas Sarkozy, rompre avec les analyses de droite plaquées sur la société française.

Et c'est là où apparaît toute la subtilité et la perversité du sarkozysme : tout en restant fondamentalement de droite, SarkoCorp réussi à recadrer l'ensemble des questions politiques de son temps de façon à laisser croire à une partie signifiante de la gauche que sa "réponse" n'est pas à droite, car elle n'est pas celle de la droite traditionnelle. Du coup, la critique habituelle de la gauche n'est plus adaptée. Le non-sarkozysme (sans parler de l'anti-sarkozysme primaire) apparaît comme un vestige d'une pensée caduque, tandis que le sarkozysme apparaît la voie unique (et lumineuse!) de la modernité de la pensée.

Cet article fondamental nous rappelle l'exigence d'être, quoi qu'il en soit, parfaitement moderne. Bien sûr, il ne faut pas suivre Sarkozy, ni sur le fond ni sur la forme, mais nous ne pourrons pas combattre le sarkozysme avec du vieux. Il va falloir avoir de l'imagination et de l'agilité. Le sarkozysme n'est pas une pensée politique : peu importe, presque, ce qu'on pense (quand on est sarkozyste), du moment qu'on gagne. Le sarkozysme est une pratique du pouvoir, surtout de son acquisition, une façon de modéler les idées pour qu'elles passent partout.

18 décembre 2007

Hyper-, omni-

Depuis les premières semaines de ce glorieux quinquennat, la presse mais aussi l'opposition, et, dans une certaine mesure la blogosphère de gauche, nous ont habitués à ces appellations pour notre Très Grand Homme (TGH) : hyperprésident, omniprésidence, et même hyperactivité. Quand on les considère sérieusement, on voit bien qu'ils renvoient au débordement de la fonction présidentielle et à l'usurpation de la plupart des rôles traditionnellement réservés au gouvernement. Dans un univers "normal", ces termes auraient été des critiques, autant de rappels d'une dérive potentiellement dangereux et sûrement anti-démocratique de notre chef d'état.

Ces termes évoquent aussi l'appétit médiatique du TGH, sa capacité à occuper en permanence le devant de la scène, d'éclipser quiconque qui oserait rivaliser avec sa Sainte Grandeur. (Il reste des choses à dire sur la religiosité de Sarkozy.) Dans un univers normal, le fait d'ainsi caractériser le comportement du président constituerait aussi une critique.

Le problème, évidemment, c'est que nous ne sommes plus dans un univers normal. Nous vivons désormais dans un cirque médiatique où l'image a pris définitivement le dessus sur la réalité, où Bruni peut, incroyablement, servir de contrepoids à Kadhafi. Quand on le dit avec des mots, c'est complètement ridicule, mais dans l'enchaînement des images cela passe très bien, cela fonctionne même à merveille.

Et dans cet univers, dire que le président est un "hyperprésident" ou qu'il instaure "l'omniprésidence", ou même, dans un rare instant de perspicacité hollandienne, dénoncer "le coup d'éclat permanent", ce ne sont plus des critiques, mais des hommages. Quand nous disons hyperprésident, nous rendons hommage à la puissance du Lider, nous réaffirmons sa toute-puissance médiatique, nous confirmons la perception populaire que "Sarkozy, il bosse". Car, comme dans la grande distribution, il vaut mieux, désormais, être hyper- que bêtement super-.

La résistance en images doit se concentrer sur des significations anti-médiatiques, qui brisent les superlatifs. Dire que Kadhafi a "humilié" Sarkozy, ça fait mal. Du coup il sort Carla. A ce titre, il faut saluer Libé pour leur papier sur les techniques sarkozyënnes pour manipuler l'actualité en ramenant le débat sur la personne du président, sur sa vie privée. Ce type d'analyse peut, aussi, faire mal, car elle nous sort des expressions permanentes d'un étonnement devant Sarkozy qui, pour finir, renforce son pouvoir. Mais quand lirons-nous dans la presse que Sarkozy est un beauf?

15 décembre 2007

Kadhafi, l'ange de la vengeance pour la droite sarkozyste

La vie non-virtuelle m'a privé de mon clavier la plupart du temps cette semaine. Je voulais pourtant revenir sur cette fantastique visite en France de quelqu'un qui est non seulement l'un des grands dictateurs des dernières décénnies, mais aussi l'un des grands terroristes. Cette visite fut assez étrange, car on a du mal à voir le véritable intérêt que Sarkozy y voit. Et elle est fascinante, car elle aura été un nouveau catalyseur du sarkozysme.

Il est difficile de dire à quel point l'Elysée maîtrisait la communication autour de cette (interminable) visite. Comme je disais cet été, lors du premier round, le Sarko-System fonctionne particulièrement mal avec des types comme Kadhafi, car leurs intérêts communicationnels ne sont pas du tout liés à ceux de Sarkozy, quand ils ne sont pas opposés :

En condensé, la méthode Sarkozy ne fonctionne pas lorsque son interlocuteur n'a rien à foutre de l'opinion des téléspectateurs de TF1, ou a des intérêts de communication parfaitement opposés à ceux du TGH. Les ministres des finances de l'UE étaient très gentils à côté.

Sarkozy n'a sûrement pas "l'impression d'être instrumentalisé" cette fois-ci, mais ça doit faire un peu mal d'entendre son invité faire l'éloge du terrorisme,

«Les superpuissances ont violé la légitimité internationale, le droit international et les Nations unies, et ont exécuté leurs décisions en dehors de ce cadre et donc il est normal que les faibles aient recours au terrorisme», a ainsi déclaré Kadhafi devant un parterre de 400 professeurs et étudiants.

ou de se faire contredire lorsqu'il prétend avoir abordé la question des droits de l'homme. Notre TGH, avec toutes ses convictions, toute la force de son caractère, son volontarisme, son énergie, son hyper-ci et son omni-ça (l'omni-Ça, j'y crois, en fait...), il n'arriverait même pas à trouver le courage nécessaire pour regarder Kadhafi dans les yeux en abordant la question des droits de l'homme. Ou est-ce pour éviter de partager un grand fou rire avec son nouveau pote?

Pour comprendre tout cela, regardons les récits que l'Elysée nous propose. D'abord, il y a celui où Sarkozy conduit jusqu'au bout la libération des infirmières bulgares, cette visite étant alors une sorte de contrepartie. Mais ce premier récit ne suffit pas. C'est un peu maigre, quand même. Il ne faut pas l'abandonner (Fillon va y faire référence pour justifier la visite, on y viendra), mais on rajoute autre chose pour se couvrir : les contrats, des gros sous. On le reproche à Sarkozy, mais il sait bien que l'argent et l'économie sont devenus des valeurs morales ("quoi, tu veux plus de chômage? tu veux pénaliser le pouvoir d'achat?"), et que les contrats plaisent. Le fric, après tout, est important.

C'est à ce stade de la narration que François Fillon entre en scène, (François Fillon, vous vous souvenez : un sarthois brun qui fait des courses de voitures...) décide de s'en prendre "aux donneurs de leçons":

Que les donneurs de leçon tournent sept fois leur langue dans leur bouche ! Laisser les infirmières bulgares croupir dans les geôles libyennes, ç'aurait été un crime.

La droite, victime des "donneurs de leçons", les ignobles droitsdelhommistes, les ignobles membres du PS, et toute cette racaille passéiste, inefficace, moralisateur, sûrement hypocrite, et ainsi de suite. La droite, enfin décomplexée, que dis-je, enfin libérée, telle une infirmière bulgare torturée par Kadhafi. A leurs autres crimes, les donneurs de leçons peuvent ajouter celui de vouloir "laisser les infirmières bulgares croupir dans les geôles libyennes", car, dans ce récit, les donneurs de leçons, ces moralisateurs, ce sont les méchants, à la rigueur, Kadhafi, c'est eux, tandis que le Kadhafi réel, c'est un gentil réformateur.

C'est à ce stade que l'on peut commencer à accéder à la révélation sarkozyste. En monnayant le prestige droitsdelhommiste de la France, Sarkozy peut montrer justement ce qu'il considère comme la vraie valeur de cet héritage. Combien, en contrats, valent les droits de l'homme? Combien faudrait-il qu'un dictateur paye pour que la France décide de se séparer de sa réputation de pays des droits de l'homme? Derrière l'imbécilité de cette visite, nous sommes en train de voir des valeurs quasi monétaires attribuées à ce qu'on appelait naguère des valeurs morales, politiques, humanistes parfois.

Apparamment, pour Sarkozy, ça se discute. Il ne faut pas fermer des portes. Si on peut céder cette réputation pour un prix raisonnable, pourquoi pas? Il faut être décomplexé, ça fait marcher l'économie.

Mais là, on découvre un troisième fond. Car ce récit des contrats en échange de la légitimité humaniste et humanitaire, s'évapore à son tour. En tout cas, c'est l'illusion que Nicolas Sarkozy, Très Grand Homme (TGH), a voulu projeter, avant qu'on ne révèle qu'il était vraiment en train de brader cette réputation : il n'y a pas de contrats, non plus! Ou très peu, dont certains négociés par un certain Jacques Chirac en 2004:

Le chef de la diplomatie libyenne a également précisé que certains contrats signés pendant la visite de Kadhafi à Paris ont été négociés à l'occasion du voyage à Tripoli en 2004 de l'ex-président Jacques Chirac.

Non seulement la visite humiliante de Kadhafi n'a pas abouti à des contrats, mais Chirac avait déjà fait la démonstration qu'on pouvait signer des contrats sans brader ses valeurs. Si on m'avait dit qu'un jour on verrait Chirac comme un grand humaniste...

Alors, pourquoi cette visite, si ce n'est ni pour libérer les infirmières, ni pour le business? Quel gain y avait-il à féliciter Poutine pour son élection frauduleuse? Je propose deux explications possibles.

D'abord, l'explication psychologique, ou psycho-politique. Le sarkozysme n'est pas une pensée politique mais une pratique du pouvoir fondé sur la fascination qu'exerce le pouvoir. À l'intérieur de l'UMP, Sarkozy a réussi à se créer une base en se présentant comme celui qui, de toute façon, était l'avenir du parti. Il valait mieux être avec lui plutôt qu'avec Villepin et Chirac. C'était une opération de séduction à longue haleine, et Sarkozy est, visiblement, doué pour ce genre de travail. Les meilleurs séducteurs sont aussi des narcissiques. Sarkozy a réussi à se faire aimer en mettant en avant ce que, lui, il aime chez les autres : le pouvoir, et plus précisément l'incarnation du pouvoir, donc un pouvoir virile du fait d'être très personnel, très lié à la personne qui exerce ce pouvoir. Concevoir ainsi le pouvoir est bien sûr très peu démocratique, comme toutes les pensées de "l'homme fort", mais je pense que je ne choquerai personne en disant que chez Sarkozy il y a quand même un certain amour du pouvoir pour le pouvoir. La démocratie, à la base en tout cas, consiste à dissiper un peu le pouvoir du Grand Homme, vers des électeurs, vers des institutions, vers le droit, et par conséquent elle s'accomode mal de ces incarnations du pouvoir. Devenu président, Sarkozy tombe amoureux aussitôt des despotes comme Kadhafi et Poutine. Ceux-là auront toujours (ou tant que l'on peut considérer que la France reste un état de droit...) l'avantage sur Sarkozy de disposer d'un pouvoir beaucoup plus proche de l'absolu, ce qui ne manque pas de susciter l'envie, et l'admiration, de notre TGH, qui, instinctivement, doit se lancer dans une opération de séduction. Même si, concrètement, il n'y a rien à gagner.

L'explication politique suit, en fait les mêmes lignes. L'ennemi réel du sarkozysme n'est pas Kadhafi, mais une certaine moralité politique, ou encore, tout simplement, toutes les espèces d'entrave à l'exercice du pouvoir. C'est dans ce sens que l'on peut comprendre que pour Sarkozy la presse est de gauche. Kadhafi sert le sarkozysme car il permet de faire un affront aux donneurs de leçons, aux moralisateurs et à toutes ces idées qui, un jour ou l'autre, serviront à critiquer l'action présidentielle. Donc même si c'est vraiment n'importe quoi, même si ça ne fait pas gagner de l'argent, même si ça ne sert à rien du tout, se vautrer devant les dictateurs est un moyen de casser toutes les vieilleries dont la droite a si souvent été la victime.

L'autre jour, Flo py s'interrogait sur le statut de victime dans le discours sarkozyste:

C'est peut-être ce que je déteste le plus dans le sarkozysme, cette manie de se définir comme une victime innocente. Forcément innocente. Victime des immigrés, trop nombreux, trop feignants, trop basanés, trop musulmans. Victime des fonctionnaires, trop nombreux, trop feignants, trop payés, trop grévistes. Victime des chômeurs, trop nombreux, trop feignants, trop coûteux. Victime des fumeurs, des malades, des pauvres, des vieux, des jeunes... Victime nombriliste, geignarde, avide de réparation, de vengeance.

Et Flo py a parfaitement raison: la droite, au sens très large, se croit la victime de ses victimes. Le pays colonisateur est la victime de ses anciens colonisés, les capitalistes sont victimes du prolétariat, mais aussi des rétraités et de futurs rétraités, des chômeurs, des malades etc.

Si la visite de Kadhafi révèle quelque chose sur Sarkozy et le sarkozysme, c'est le sarkozysme restera l'art de mobiliser toutes ces haines, toutes ces frustrations afin de s'emparer du pouvoir.

7 décembre 2007

Méchant

A moins d'être vraiment malade, ou, à la rigueur, un FARC soi-même -- et encore --, il est impossible de ne pas souhaiter la libération d'Ingrid Betancourt, et de trouver inhumain l'injustice qu'elle subit depuis si longtemps. Juste pour être très clair.

Et pourtant... il ne faut pas se laisser happer par la machine à communication de notre Très Grand Homme (TGH), qui sait si bien instrumentaliser nos propres sentiments. Et dans le système de communication sarkozyënne, Ingrid Betancourt permet de symboliser toute la souffrance du monde, et, surtout, toute la souffrance... de la France. Par là, je veux dire que toute cette histoire d'une intervention passionnelle du Président, même si elle est motivée, aussi, et en partie, par des sentiments honorables, va servir à maintenir l'image d'un président sympa, prêt à faire n'importe quoi pour aider les misérables, image qui va ensuite lui permettre d'être d'autant plus sévère dans les confrontations sociales et économiques.

Autrement dit, il y a un équilibre qu'il faut maintenir : il ne faut pas que le président paraisse trop méchant, trop dur. Avec Ingrid Betancourt, il trouve le moyen de continuer à être sympa, pour nous le faire payer plus tard sur des questions qui concernent non pas une seule personne, mais des millions de chômeurs, précaires, smicards, étrangers, demandeurs d'asile. Leur souffrance est trop banal pour la télé, elle n'a pas de commune mesure avec celle de l'ôtage des FARC. Et pourtant, quantitativement, elle est énorme. Et médiatiquement invisible.

Pas de nationalisme à gauche (svp)

Le grand retour de Ségolène Royal va sûrement nous conduire à pas mal de réflexions, car il y a beaucoup de choses à dire. Nicolas en est déjà à son deuxième billet sur Ségo en quelques heures. Ce n'est pas un record, sans doute, mais c'est pas mal...

Je veux commencer simplement par commenter quelques phrases qu'elle a prononcées dans son entretien au Monde :

Bref, une certaine frilosité pour aborder des questions sur lesquelles nous n'étions pas forcément d'accord, mais qui, avec un travail approfondi, auraient permis de faire émerger des choix collectifs. Je pense à la question de l'identité nationale, aux questions liées à la sécurité, au débat sur la liberté de choix de l'école par les familles, à la question de la valeur travail. Autant de valeurs fondamentales que les socialistes ont trop longtemps laissées à la droite. Ce travail a été entamé pendant la campagne présidentielle. Nous devons le poursuivre.

Ca y est : la question nationale. Je me considère comme ségoléniste, je passe mon temps à la défendre dans mon entourage, je considère qu'elle est la seule socialiste capable de communiquer de façon moderne. (Et c'est là le fondement de la pensée politque de ce blog : la gauche doit surtout gagner.) Toutefois, je ne peux qu'être déçu quand elle met la question de l'identité nationale sur le tapis. Pendant la campagne, c'était le seul élément dans son discours sur lequel j'étais en total désaccord. Aujourd'hui, cela me paraît encore plus grave, alors que la notion même d'"Identité Nationale" n'appartient pas seulement à la droite, mais à un ministère, et pas à n'importe quel ministère, mais à celui de l'ignoble, de l'infâme Brice Hortefeux.

D'un point de vue simplement tactique, c'est une erreur de reprendre à son compte exactement ces mots, "identité nationale". S'il faut absolument faire du chévénementisme, du nationalisme censé être de gauche (et à mon avis, il faut absolumment éviter de le faire), n'utilisons pas ces mots-là. Laissons les retomber dans la poubelle de l'histoire comme ils méritent. Ne leur accordons aucune crédibilité, aucune valeur.

Mais ce n'est pas une question de mots. La vraie question est plutôt celle de l'attitude de la gauche en général vis-à-vis de l'idée de la Nation. Nicolas disait ce matin, à propos de ces mêmes phrases de l'entretien :

Ben ouais, il y a des valeurs de droite ! Tiens ! Le travail. Sa valeur c'est le pognon qu'il rapporte pour qu'on vive (et le fait que c'est à peu près le seul moyen de gagner des sous honnêtement...) pas la quantité de travail.

En effet : le nationalisme est une valeur de droite. Il y a des bonnes raisons pour lesquelles le nationalisme doit être, doit rester à droite. Le problème avec la Nation, c'est que c'est une valeur qui n'est pas démocratique. Elle n'est peut-être pas fondamentalement incompatible avec la démocratie (quoique...), mais il n'est pas besoin d'aller loin pour chercher des régimes pas démocratiques du tout qui ne cessent de chanter les louanges de la Nation. La Nation, c'est Nous qui sommes fiers d'être Nous et pas Eux, les autres, ceux qui sont différents, voire bazanés. C'est l'amour de mon pays parce que c'est le mien, et non parce qu'il est démocratique. Le nationalisme est une forme d'égoïsme : moi et mes semblables d'abord, avant les autres, fiers d'être Français, Russes, Américains, Chinois...

Le nationalisme est une valeur de droite parce qu'il n'est pas démocratique et parce que c'est une forme d'égoïsme. De plus, il est profondément de droite parce qu'il est réactionnaire. C'est une réaction contre ceux qui sont différent, contre l'Autre en général. Aujourd'hui, c'est une réaction contre le monde de plus en plus international dans lequel nous vivons. C'est aussi une réaction contre l'Europe, bien entendu.

Admettons qu'il existe, dans l'électorat français quelque part, un sentiment national qu'il faudrait ne pas abandonner. Est-ce le rôle de la gauche d'assumer tout ce que le nationalisme représente, une pensée égoïste, anti-démocratique et réactionnaire, sous prétexte que ces idées existent?

Le problème avec le nationalisme de gauche, et surtout le nationalisme de gauche des pro-européens, c'est qu'il se réduit peu ou prou à quelque chose de très superficiel. Comme les drapeaux, par exemple. Car si on n'est pas contre la fermeture des frontières, si on n'est pas contre le droit du sol, si on n'est pas passéiste, réactionnaire, peut-on être crédible sur ce plan?

Il y a un danger, à gauche en tout cas, à vouloir théoriser l'"Identité National" comme stratégie de conquête ou de renouvellement. Si "reprendre à la droite l'idée de la Nation" veut dire, essentiellement, "faire en sorte que les gens peuvent être fiers de leur pays", je ne m'y oppose pas. Sauf que ce n'est plus l'identité nationale qui est en question, et ce n'est plus "la Nation" dont il s'agit. On peut être fier d'avoir un système de sécurité sociale humaine, on pourrait (éventuellement) être faire du respect des droits de l'homme, du bon traitement que reçoivent les demandeurs d'asile, du rôle de la France dans l'humanitaire, et ainsi de suite. Mais dans ce cas, il faut simplement faire ces choses-là. Les gens finiront par en être fiers. Mais dire que l'on va reprendre le thème de la Nation, c'est discréditer la gauche par manque de cohérence, et en acceptant que pour aimer son pays, il faut le faire à la manière des gens de droite.

Les idées de droite, il faut les laisser à la droite, il faut les laisser pourrir la droite, comme Hortefeux est en train de le faire.

J'arrête là, mais je n'ai pas fini avec ce sujet.

5 décembre 2007

Univers parallèle

Dans un univers parallèle, Ségolène Royal a battu Nicolas Sarkozy le 6 mai 2007. Aussi, le référendum laissant Hugo Chavez se représenter aux élections est approuvé, de justesse. Aussitôt, la Présidente Royal décroche son téléphone pour féliciter Chavez. Réaction unanime de la presse et de la droite (dans la mesure où ces deux entités ne coïncident pas tout à fait) : "Ségo Lagaffe récidive, on savait bien qu'elle n'était pas à la hauteur en affaires étrangères, voilà le résultat quand on confie l'Elysée à une gonzesse".

Sauf que dans cette histoire, il y a une invraisemblance.

Ségolène Royal n'aurait pas appelé Chavez.

4 décembre 2007

Sarkozy en Colombie

Et les choses se précisent : comme les FARC la Colombie veut Sarkozy aussi. Ça se complique. La Colombie aurait-elle aussi quelque chose à gagner, quelque chose que Sarkozy pourrait lui donner, lui qui ne cherche qu'à être le sauveur d'une victime?

Attention, quand même. Sur France Inter, l'excellent Daniel Mermet propose cette semaine une série d'émissions sur la guerre civile en Colombie. Aujourd'hui (RealMedia) (j'écoutais en voiture, j'ai peut-être manqué des bouts), il parlait d'un village qui tourne le dos aux deux côtés. Ils en ont marre des militaires qui se rapprochent d'eux, non pour les protéger des FARC, mais pour se servir d'eux comme bouclier humain, entraînant tout une spirale d'ennuis qui coûtent souvent la vie à des innocents.

Bref. Je suis très loin d'être un expert sur la situation en Colombie, mais je ne vois pas pourquoi un chef d'état français irait là-bas parler avec des spécialistes de l'enlèvement. La réaction (attention, c'est encore le Fig) de l'Elysée est ambiguë, cependant:

Peu de temps après, un haut responsable de la présidence a indiqué que toute réponse demandait «un peu de réflexion».

La présidence française a ajouté «n’avoir pas l’impression d’être instrumentalisée par quiconque» et ne pas souhaiter «se précipiter sur chaque porte qui s’ouvre».

Pourquoi pas "non" tout de suite? "Un peu de réflexion" ? C'est dans le vocabulaire sarkozyen? J'aime tout particulièrement : "n’avoir pas l’impression d’être instrumentalisée par quiconque". En général, quand on est instrumentalisé, on n'en a pas l'impression, justement.

Encore une fois, Sarkozy devient une cible pour ce genre d'opération, en raison de cette réputation qu'il a si rapidement acquise, non pas la réputation d'un héros qui sort les pauvres de leurs situations, mais celle d'un type qui est prêt à lâcher beaucoup d'argent, pouvoir, crédibilité, pour étayer son propre narcissisme.

3 décembre 2007

Ne pas confondre les mots et le pognon

Comment définir le sarkozysme? Dans la blogosphère proche, il y avait il y a presque trois mois une rafale de billets qui ont essayé de le définir : Eric, Nicolas, Juan et CSP s'y sont mis. J'étais trop occupé à l'époque pour pondre ma contribution, même si évidemment le sujet m'est très cher.

La visite du Très Grand Homme (TGH) en Algérie donne l'occasion de formuler l'un des aspects essentiel de ce qui n'est pas une pensée politique, mais une pensée communicationnelle (l'un des premiers préceptes du sarkozyzme, c'est que, dans toute circonstance, la communication prime sur n'importe quelle autre considération).

Voici, donc : les mots ne coûtent rien, le pognon est pour les amis.

Cela veut dire, en somme, que les déclarations sont faciles : facile de se choper des voix chez Le Pen, il suffit de dire des conneries ; facile de neutraliser les écologistes, on fait un Grenelle pour rien pour laisser tout le monde s'exprimer. En revanche, dès que l'argent entre en jeu, il faut servir les siens.

La visite en Algérie, donc. Juan écrit :

A-t-il eu peur, Nicolas Sarkozy ? Toujours est-il qu'il a bien vite oublié ses grands discours de campagne sur les bienfaits de la colonisation et contre la "repentance" une fois arrivé sur le sol algérien: "Oui, le système colonial a été profondément injuste, contraire aux trois mots fondateurs de notre République: liberté, égalité, fraternité."

Pourquoi ce revirement? Sarkozy devient-il tout doux? Oui, car il va signer des contrats, se montrer à nouveau dans le rôle du VRP national, montrer que pour ça il est aussi fort que l'était Chirac. Il fallait dire des conneries pour se faire élire, maintenant il faut en dire d'autres, aux algériens, pour faire du fric. Ce n'est pas grave, tout cela, c'est juste des mots, ça ne coûte rien.

L'émotion et le principe de réalité

En pensant un peu plus à ce que je disas hier sur Sarkozy et les FARC, je réfléchissais un peu plus sur ce que disais Nicolas vendredi dernier:

Il parait qu’Ingrid Betancourt est vivante. Je suis bien content pour la famille mais je m’en fous à peu près autant que de la vie sexuelle de Leonid Brejnev. Ca fait des années qu'on nous parle de cette dame que je ne connais pas. Pourquoi m'en parle-t-on ? Elle a choisi de vivre dans un pays où la coutume veut qu'on enlève les gens. Elle s'est faite enlever : c'est son problème.

Si elle avait choisi de vivre en France où la coutume est de picoler au bistro avec les copains, elle n'en serait pas là. Elle aurait peut-être une cirrhose du foie et on n'en parlerait pas.

A première vue, on est tenté de penser que Nicolas est un peu sévère avec quelqu'un qui est réellement une ôtage, à la différence des fameux usagers des transports publics en France. Les FARC ne sont pas des enfants de choeur, et c'est difficile de dire qu'il n'est pas si grave s'ils prennent des ôtages de la sorte.

Mais, d'un autre côté, Nicolas a raison (comme souvent). Car si on peut regretter et même dénoncer sévèrement ce qui arrive à Ingrid Betancourt, il faut mettre les choses en perspective. Est-ce le sort d'une personne une raison suffisante pour faire dévier la politique étrangère d'un pays de premier plan comme la France? Habituellement les chefs d'état qui veulent se montrer forts ne cessent de répéter qu'ils négocieront jamais avec des preneurs d'ôtages, avec des terroristes, etc. Habituellement, tout en disant cela, ils négocient quand même avec les terroristes ou les preneurs d'ôtages, mais toujours en off. Il y a des bonnes raisons de procéder ainsi : éviter, avant tout, d'encourager d'autres groupes à faire la même chose; maintenir l'image d'un grand état qui ne se laisse pas influencer pour des broutilles, qu'on ne peut pas faire chanter.

Pourtant, Nicolas Sarkozy a déjà reçu Chavez, ce qui n'est pas forcément une mauvaise en soi, seulement cette visite n'avait d'autre but que d'avancer sur le chemin d'une éventuelle libération d'Ingrid Betancourt. Autrement dit, sans son enlèvement, Sarkozy n'aurait jamais reçu Chavez. Autrement dit, les FARC ont déjà réussi à faire dévier la politique d'un grand pays européen.

Et pourquoi tout cela, en fait? La raison profonde, qui n'est pas justement si profonde, c'est que le Très Grand Homme, dans son désir irrépressible d'être à la fois Père Fouettard et Père Noël, a donné aux victimes à statut quasi divine. Il reçoit sans arrêt à l'Elysée, parce qu'être victime, c'est, pour lui, une véritable affaire d'état. Rien ne peut s'opposer aux souffrances des victimes, quitte à condamner les irresponsables s'il le faut.

Du coup, la politique étrangère se trouve coincée dans le discours émotionnel du président. Nea disait l'autre jour dans un commentaire ici que Sarkozy

n'a aucune stratégie de communication, il ne pense pas, il se laisse porter par ses émotions.

A mon avis il pense un peu, quand même, et que sa force électorale est, ou fut, de pouvoir canaliser l'émotion publique, mais Nea a sûrement raison. Voici, avec Chavez et les FARC, que ce discours sentimental se heurte à la dure réalité du monde. Et comme d'hab', c'est la comm' qui domine et qui fait tout basculer.

2 décembre 2007

Diplomatie des choux farcis : narcissisme, Sarkozy et les FARC

Alors, comme ça, les FARC veulent parler directement avec Sarkozy. C'est bien non? Cela montre que notre Très Grand Homme (TGH) est bien une figure nationale. Tout le monde le réclame, même les FARC. C'est qu'il est puissant, c'est qu'il est grand, ce Sarkozy.

Mais attendez là, j'ai comme un doute. Et si les FARC n'étaient pas tout à fait des imbéciles... N'ont-ils pas reconnu en Sarkozy une sorte de pigeon ? Un président qui s'implique toujours personnellement et qui par conséquent n'a aucune protection hiérarchique. Ne pas secourir Ingrid Betancourt finira par être perçu comme un échec personnel du TGH, il sera donc personnellement obligé de faire ce qu'il fait toujours, à chaque fois que ça commence à être difficile pour lui personnellement. Il va sortir notre chéquier encore une fois.

Les FARC n'ont pas encore dit ce qu'ils vont exiger de Sarkozy pour qu'il puisse sauver la face dans le piège qu'il s'est tendu pour lui-même, mais je suis certain qu'ils sont en train d'y réfléchir très sérieusement. N'étant pas cons, les FARC ont vu un super coup à jouer. Ils ont compris que de Sarkozy ils pourraient obtenir plus de n'importe quel autre chef d'état. Et d'une manière ou d'une autre, Sarkozy va se laisser faire.

Ce piège, c'est quelque chose qui va accompagner Sarkozy partout. Le piège d'un narcissisme, j'allais dire d'Etat, sauf que ce n'est pas un "narcissisme d'Etat", mais l'Etat au service d'un narcissisme.

Mais évidemment, il y a pire. Car si pour les FARC Sarkozy a le rôle du pigeon, ce n'est pas ainsi que Sarkozy voit les choses. Non, pour lui, le pigeon, c'est vous, c'est nous. Car c'est la crédibilité de la France qui servira à payer le narcissisme de son Lider Maximo.

30 novembre 2007

Billet 200

C'est mon 200ème billet. Un moment pour réfléchir. Deux cents billets, ça me paraît beaucoup, soudain. Presque un billet pour dix chez Juan sur la même période. Vu comme ça, 200, ce n'est pas mal du tout.

J'ai écrit mon premier billet le 6 mai à trois heures du matin, dix-sept heures avant la défaite de Ségolène Royal, dans une insomnie provoquée sans doute par le sentiment d'un couperet qui allait tomber. Un début dans l'urgence, pour marquer cette transition, peut-être pour garder un pied dans le monde d'avant, qui n'était pourtant que celui de Chirac (c'est dire).

Depuis ce premier billet, j'ai beaucoup appris. A vrai dire, j'ai toujours l'impression de bloguer pour apprendre à écrire, pour apprendre à penser, pour apprendre à intervenir. (Inévitablement, on finit par apprendre aussi un peu le "blogage".)

Tenir un blog demande de l'énergie. Il faut, justement, tenir. Parfois, un vent de découragement s'abat sur ce petit coin de la blogosphère : Juan s'interroge, Kamizole a un coup de blues, Flo Py lit Stefan Zweig. A quoi ça sert? Prêche-t-on dans le désert, ou qu'à des convertis?

Même si ce n'est pas toujours facile de trouver, chaque jour ou tous les deux jours, le temps et les raisons pour lancer un billet de plus, je reste persuadé que, collectivement, tout cet effort sert bien à quelque chose : créer une parole qui ne soit ni celle des médias, ni celle des partis, fussent-elles de gauche, une parole ou plutôt plusieurs, se renforçant par leurs désaccords, pour, le moment venu, proposer autre chose que le conformisme politique que l'on nous sert.

Et, en attendant, il y a le plaisir de trouver par le blog des personnes. Donc, merci à tout le monde, confrères et consoeurs blogueurs, commentateurs et lecteurs silencieux. On fera le point après les prochains deux cents billets.

o16o

28 novembre 2007

Valls, Gorce : réfonder pour ne rien dire

Sur les mouvements sociaux, le PS a été inaudible, invisible. On a du mal a ne pas être d'accord avec Julien Toledano, contre la position molle de François Hollande et donc du PS. En disant que le PS fut "inaudible", je ne fais que reprendre Manu Valls, qui disait l'autre jour dans Libé :

On vient encore de le constater face au dossier des régimes spéciaux de retraite sur lesquels nous sommes inaudibles. Le PS crève de ses fausses synthèses au nom de l'unité.

Inaudibles, tiens! Et Valls, l'a-t-on entendu, sur ces régimes spéciaux? Voici ce qu'il avait à en dire, ce grand réfondateur:

Le député PS Manuel Valls a dit dimanche 18 novembre être favorable à l'alignement des régimes spéciaux de retraite sur ceux de la fonction publique. Alors qu'il était interrogé par France 2, le député de l'Essonne a déclaré: "oui, il faut harmoniser les régimes spéciaux sur les 40 années de cotisation de la fonction publique". Il a également affirmé que le PS "aurait dû être plus clair" sur ce sujet pendant la campagne présidentielles.

Quel courage, qu'est-ce qu'il est audible! Tout en reprenant la ligne du parti, et donc celle de Hollande, il trouve le moyen d'en faire une critique du PS, plutôt qu'avec, par exemple, du Président de la R. Non, le plus grave, c'est que le PS aurait dû être "plus clair" là-dessus.

Ainsi, les appels à la réfondation sonnent de plus en plus creux. Que Hollande ait une grande part de responsabilité dans la situation actuelle, c'est une évidence. Encore que... comme une famille classiquement dysfonctionnelle, c'est peut-être moins la faute de celui qui a maintenu ce que Valls appelle les "fausses synthèses", que celle, collective, de tous ceux qui étaient plus confortable dans un statu quo consensuel mais pleins de non-dits, que dans le danger d'un réel changement de cap. L'ironie de l'histoire, c'est que celle qui a osé brisé le consensus, c'était quand même Ségolène Royal, qui avait des relations familiales d'une autre sorte avec le Premier Secretaire.

Mais revenons à Valls, et aussi à Gorce, qui dressait, il n'y a que quelques jours, "l'acte de décès du socialisme traditionnel":

"De l'autre, a-t-il poursuivi, les rénovateurs qui pensent au contraire que nous sommes entrés dans un monde radicalement nouveau et que la fidélité à nos valeurs doit s'accompagner d'une révision complète et sans tabou de notre projet politique."

[...]

Il a dénoncé "l'attentisme" qui «trouve toujours de nouveaux prétextes pour ne rien changer" et ce qu'il a appelé "l'arrangisme".

Cette attitude, selon lui, "se donne aujourd'hui libre cours" dans le parti. Elle "consiste à opérer les recompositions, les alliances, les futures synthèses, sans aucun rapport avec les questions de fond, sans souci de l'orientation politique commune, en continuant à brouiller les repères et les enjeux".

Ce sont les mêmes thèmes que Valls : mauvaise "synthèse" hollandaise, modernisation dont on ignore le contenu véritable. Quand je parlais de la stratégie Valls, en septembre, il était clair que la modernisation à laquelle il faisait sans cesse appel, c'était en réalité le sarkozysme, tout simplement. Cette analyse tient encore, à mon avis. Mais maintenant que les choses se précisent davantage, on s'aperçoit que le discours de ces "réfondateurs" est tout simplement une manière de profiter de la faiblesse du PS pour s'imposer comme une alternative, sans rien proposer.

Combien de fois faut-il que Dagrouik nous rappelle que le PS n'a pas besoin de se réfonder pour reconnaître le marché ? La "réfondation", telle qu'elle se présente, est simplement une manière de prendre le pouvoir, et en quelque sorte de prolonger le jeu des personnes qui a si bien réussi jusqu'à présent.

24 novembre 2007

Cumul et la concentration du pouvoir

Sur le blog Changer la République, dans un billet repris par Betapolitique, on lit ceci:

Dans sa lettre de mission au Premier Ministre, relative à la réforme des institutions, le Président de la République déclare « Je suis favorable à la proposition du comité consistant à interdire le cumul d’une fonction ministérielle avec tout mandat électif, à tout le moins avec tout mandat exécutif. » En clair, Monsieur Sarkosy estime comme le comité Balladur, que le travail de Ministre est un travail à temps plein et que l’on ne saurait tolérer un cumul avec un mandat dans un excécutif local.

Le billet parle surtout du fait que les ministres de ce même Nicolas Sarkozy ne semblent pas avoir compris le message, car ils préparent des campagnes municipales:

Il s’agit ainsi de Rachida Dati (Justice) dans le VIIe arrondissement de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet qui sera candidate à la mairie de Longjumeau, Jean-Marie Bockel à Mulhouse, Eric Wœrth à Chantilly (Oise) ou qui réfléchissent encore comme Xavier Darcos à Périgueux (Dordogne), Brice Hortefeux à Clermont-Ferrand ou André Santini à Issy-les-Moulineaux [...]

On ne peut pas dire que cette situation soit surprenant. Le gouvernement Fillon 2.0 était fondé sur le principe du cumul, les députations de ses ministres étant alors perçues comme des gages de "légitimité démocratique", l'une des obsessions du régime...

L'argument contre le cumul que l'on évoque le plus souvent, c'est celui du temps requis pour le poste :

Ainsi soit les ministres, n’ont pas suivi les travaux du Comité Balladur sur les institutions, n’ont pas lu la lettre de Sarkozy au Premier Ministre parce qu’ils ont trop de travail, soit ce beau monde s’en fiche et fait le pari que cette réforme sera retoquée par les partis politiques.

Et, dans un autre billet du même blog on apprend que même selon Opinionway, la majorité des français souhaite un maire à temps plein.

C'est logique. C'est le bon sens. On ne peut pas tout faire en même temps. Pourtant, ces histoires d'empoi de temps ne sont pas ce qui m'inquiète avec le cumul.

Mais ce n'est pas le vrai problème. Le vrai problème, c'est la concentration du pouvoir et l'absence de distinction entre les différents niveaux démocratique. Nous avons vu la Mairie de Paris en train de payer des salaires en Corrèze. Ce n'était pas un problème de manque de temps, à proprement parler, mais le symptôme d'une situation où la même personne a des intérêts politiques divergents, voire conflictuels.

L'effet néfaste du cumul, c'est la concentration du pouvoir, la création d'un caste de "privilégiés" politiques.

23 novembre 2007

Sarkozy et la préférence nationale

D'abord, cet excellent entretien au Contre-journal, avec Gérard Noiriel, l'un des historiens de l'immigration qui avait démissionné de la Cité de l'Histoire de l'Immigration au moment de l'annonce de la création d'un Ministère des Expulsions, de l'Identité Raciale, et des Bronzés qui Restent Chez Eux.

Au moment où l'amendement Mariani fut proposé, je me demandais si

cette histoire de tests ADN n'était qu'un leurre, ou un paratonnerre, qui a fait que, finalement, la bataille sur la législation Hortefeux (l'ignoble, abominable Hortefeux) a concerné essentiellement cet amendement. Le coeur même de la loi n'a pas attiré l'attention qu'elle mérite.

Et je m'inquiétais :

avec des tests de langue et de « citoyenneté » [pour les candidats à l'immigration], il devient évident que la France recherche des immigrés qui ne sont pas différents de nous.

Gérard Noiriel semble penser la même chose:

Une des mesures qui nous paraissait, à nos yeux d'historiens de l'immigration, comme l'une des plus scandaleuses: à savoir contraindre les gens à un examen de langue avant de s'installer en France est passée comme une lettre à la poste. On a mis l'accent sur les choses extrêmes [l'ADN et les statistiques ethniques] qui ont suscité à juste titre la protestation.

Pour conclure :

L'anticipation des réactions probables des opposants est aujourd'hui intégrée par les stratégies politiques.

Autrement dit, les tests ADN n'étaient pas seulement un symbole envoyé en direction des électeurs FN (on comprendrait si j'écrivais "FN-NS"?), mais un chiffon rouge agité devant nos yeux de gauchistes bien-pensants, afin de nous distraire des autres mesures qui auront un impact bien plus réel, finalement.

Mais pour revenir sur le plan symbolique, l'obligation de parler déjà français, avant même d'arriver en France, en plus de l'obstacle pratique que cela imposera dans bien des cas, est aussi une manière de signifier que les futurs immigrants doivent déjà être français. En somme, c'est une nouvelle façon de refuser l'autre. Comme le raciste qui prétend avoir "plein d'amis" noirs ou arabes, cette mesure est la caution de celui qui dit (ou pense, mais ne le dit pas) : "d'accord pour des immigrés, à condition qu'ils se comportent comme nous".

A cela, il faut ajouter le fait que "l'immigration économique", grande promesse sarkozyenne de sa sacrosancte campagne électorale, est devenue une nouvelle expression, vaguement camouflée, du vieux thème frontiste de la "préférence nationale", qui, même dans la bouche de Le Pen, paraissait à un public étonnement large, frappé du coin du bon sens. Sauf que quand Sarkozy dit "immigration économique", c'est du propre.

19 novembre 2007

Sarkozy est nul, ou : le gâchis

Soudain, le pouvoir sort le chéquier, 90 millions par an seraient sur la table. Bercy est presque d'accord. (Attention, le lien va vers Le Monde, c'est un peu comme citer le Figaro dans le temps...) C'est la méthode Sarkozy pour briser les grèves : comme avec les pêcheurs, il leur donne ce qu'ils veulent, ou presque. Tant mieux pour les grévistes, grâce à eux le syndicalisme est bien vivant. Leurs journées de travail perdues, ainsi que les difficultés imposées à nous autres usagers n'auront pas été en vain, car même si cette proposition est jugée insuffisante, elle montre que les syndicats ont renforcé leur position en faisant la grève. Les purs et durs de l'UMP devront trouver des parades pour ne pas reconnaître que leur Très Grand Homme (TGH) de la Rupture Intégrale est à nouveau en train de se coucher.

Il faudrait maintenant que la communication à gauche profite de la situation pour rendre Sarkozy et son gouvernement responsables des toutes ces "galères". En effet, pourquoi avoir attendu aussi longtemps? Pourquoi avoir passé une semaine, avant le début de la grève, à faire les durs à cuire, à annoncer qu'ils ne bougeraient d'un pouce, si c'est pour arrêter maintenant?

Ont-ils encore un super plan ? C'est ce que pense Chérèque:

Le syndicaliste se demande également "depuis le début si on n'est pas dans une coproduction". Selon lui, il y a eu "une coproduction pour déclencher cette grève", avec "un gouvernement qui nous avait annoncé (...) dès le 29 octobre : il y aura une deuxième grève, mais elle ne sera pas longue". "Et maintenant, le gouvernement, avec les syndicats les plus durs de la SNCF, organise la jonction avec la journée d'action des fonctionnaires", dénonce M. Chérèque.

Selon lui, les syndicats les plus radicaux veulent "faire un mouvement politique", et "le gouvernement est intéressé par ce mouvement politique", car "il est plus facile pour le gouvernement d'avoir ce mouvement globalisant et politique que de répondre demain concrètement aux problèmes des fonctionnaires et de leur pouvoir d'achat".

La semaine dernière, j'aurais été tenté de donner un peu de crédit à cette hypothèse. Mais aujourd'hui j'ai une autre explication.

La voici.

En tant que stratège politique, Sarkozy est nul. Mais nul.

18 novembre 2007

Le mythe du consensus sarkozyën

Lisez la chronique hébdomadaire de Sarkofrance sur les mythes sarkozyëns qui se cassent petit à petit la figure. Il y en a deux qui semblent particulièrement importants pour la suite des événements. D'abord, le mythe de l'efficacité politique de Sarkozy : censé être un animal politique redoutable, il est à la peine quand il faut intégrer son gouvernement dans sa communication. Surtout, on se rend compte que ses pouvoirs de communication sont formidables quand c'est son image à lui, Nicolas Sarkozy, le Très Grand Homme (TGH), qui est en jeu. Dès qu'il s'agit des autres, ou même du bien de la France en général, c'est le cafouillage. Ensuite, ce que Juan appelle "Le mythe de la France rassemblée" : l'idée que Sarkozy incarne une sorte de modernité française inéluctable, que toutes ses "réformes" sont inévitables, incontournables, et que le "peuple" (qui s'était "levé" pour élire notre petit grand bonhomme, vous vous souvenez?) est derrière lui, et donc contre les "nantis" bénéficiaires des régimes spéciaux, mais aussi contre les immigrés, contre plein de gens, en somme.

Le conflit sur les régimes spéciaux sera, de toute façon, l'un des moments charnières de ce mandat. Nous sommes riches en moments charnières ces temps-ci, car je reste persuadé que le divorce présidentiel en était un autre. Mais passons, on pourra y revenir. Cette grève, dont la défaite devait être le symbole des victoires sarkozystes futures (lisez Planète-UMP (merci Dagrouik) si vous ne me croyez pas), n'a fait qu'éroder un peu plus la popularité du Président, et quelle qu'en soit l'issue, ne signifierait pas la fin du pouvoir syndical. Loin de là.

La notion d'un grand consensus autour de Sarkozy continue à être l'un des socles de sa crédibilité. Depuis quelques mois, nous avons eu de nombreuses occasions de critiquer la complaisance des médias, aussi bien ceux, privés, dont les propriétaires sont des proches de Sarkozy, ou ceux de l'Etat qui, à quelques vaillantes exceptions près, tendent à relayer les analyses UMP plutôt que de s'essayer à l'esprit critique. Mais sans aller jusqu'à dénoncer un complot, ou une manipulation directe de la presse par l'Elysée (sans, bien entendu, l'exclure), la presse semble imbibée de ce consensus, comme s'il était impossible, impensable, ridicule de ne pas participer à la grande admiration générale de Sarkozy, et d'estimer que tout le monde, hormis quelques hulerberlus, partage ce sentiment. Sarkozy, dès son éléction, est devenu l'incarnation d'un esprit du temps.

Les grèves des cheminots et des étudiants ont ouvert quelques brèches (voir ce papier chez Libé et même celui-ci au Monde) : les deux groupes commencent à considérer les médias comme étant dans le camp de leur ennemi. L'éditorialiste anonyme du Monde réplique, avec la mauvaise foi qui est devenue sa signature :

[...] le président de la République qui vient d'être élu et la majorité parlementaire qui le soutient ont présenté aux électeurs des engagements prévoyant explicitement cette réforme. Non seulement elle n'a pas été occultée pendant la campagne, mais elle a au contraire été mise en avant comme l'une des mesures symboliques du programme économique et social proposé par le candidat et par son parti. Les citoyens, qui n'ont pas changé d'avis en six mois, approuvent donc, dans leur majorité, l'alignement de la durée de cotisation des agents des entreprises publiques sur celle des fonctionnaires et des salariés du privé.

En un mot, c'est la ligne du Parti : avec toute sa légitimité démocratique, les fameux 53%, Sarkozy peut faire ce qu'il veut. C'est bien la Ve République, non? Tu votes, et si tu perds, alors tu te la ferme pendant cinq ans! Ceux qui sortent de cette vision des choses, eh bien, les journalistes ont du mal à en parler. C'est normal, paraît-il.

En revanche, donner à tous ceux qui sont concernés des possibilités égales d'exposer leurs arguments est délicat. C'est le cas type d'une situation où les journalistes ne font que des mécontents.

(Il pousse le bouchon jusqu'à cette perle:

Les usagers, qui subissent la grève, ont le sentiment que ce n'est ni assez dit ni assez montré.

Pas assez dit! Pas assez montré! Il débarque d'où, ce grand anonyme? Les témoignages de "galère" sont devenus l'occupation principale de l'ensemble des médias.)

Etonnamment, le grand quotidien véspéral en est au point où il doit défendre, explicitement, le parti pris des médias. Ce ne peut être qu'un signe encourageant.

Nous ne sommes pas près d'être débarrassés du mythe du grand consensus derrière Sarkozy. Il n'est pas sûr, cependant, qu'il reste intact si longtemps.

16 novembre 2007

Le sarkozysme s'embourbe

L'autre jour, avant le début de la grève, je disais :

Finalement, arriver aux mêmes "réformes" sans une "putain grosse grève", comme dirait CSP, ça ne les [Sarkozy et la droite] intéresse pas. Car il faut, à cette droite, pour des raisons obscures mais liées à des traumatismes dans la petite enfance, écraser son adversaire.

Il fallait, à Sarkozy, à Fillon, à Xavier B., réussier à mater une grève pour effacer la honte de 1995, celle du CPE, et toutes les autres. Tout était dans le symbolisme. Une grève brisée aurait permis de signifier le triomphe du sarkozysme. Cette victoire hautement symbolique aurait eu pour effet de rendre inéluctables toutes les réformes suivantes, comme le dit Annick Coupé chez Politis:

Si la remise en cause de ces régimes se fait au pas de charge, ce n’est pas pour garantir l’équilibre financier du système de retraite, c’est, avant tout, pour préparer la suite. Aller vite pour casser les régimes spéciaux, démobiliser les salariés de ces secteurs qui ont encore des capacités importantes de mobilisation, c’est préparer le rendez-vous de 2008 : allonger à nouveau la durée de cotisations de tous les salariés (privé et public) à 41 ou 42 annuités, voire plus. Il s’agit bien de travailler plus (le nombre d’annuités) pour gagner moins (baisse du niveau des pensions).

Une grève brisée dans l'opinion, c'était le démarrage du rouleau compresseur "réformiste".

La stratégie consistait à jouer sur la confusion entre un plan symbolique et un plan très pratique. Côté symbolique, les syndicats des cheminots ont un rôle très particulier en France, où le taux de syndicalisme est assez bas, mais où le pouvoir politique des syndicats est très élévé. D'une certaine façon, et tout le monde le sait, quand ces catégories de fonctionnaires font la grève, ils le font un peu pour tout le monde, même pour ces pauvres usagers qui servent de chair à reportage. (Il y en a quand même marre d'entendre toujours pareil, mais combien de fois : "eh, moi, j'sais pas, s'il fait beau je vais marcher jusqu'au boulot, ça fait 4 km...") Côté pratique, il y a les emmerdements très réels provoqués par les grèves, et il y a toute la complexité des retraites, que la plupart des gens ne comprennent pas ou peu. Le rôle symbolique de la grève des cheminots ne peut pas être dit (ça ne doit pas être politique), et pourtant il est d'une très grande importance pour toutes les parties concernées (je ne parle pas du PS, là, évidemment). Le seul débat possible est celui qui concerne les détails : "décote" contre "je vais me lever à 3 heures du mat pour aller au boulot". Pas facile, dans ces conditions, de dire que les cheminots défendaient les intérêts de tous, alors qu'il est si facile de répliquer qu'ils ne défendent que leurs 37 annuités. Qu'en somme, c'est des feignants. Dommage qu'on ne peut pas leur appliquer des tests ADN quelconques, juste pour leur montrer.

Qu'est-ce qui s'est passé, alors? J'ai l'impression qu'aujourd'hui, cette grève ne pourra plus être brisée, au sens où l'espéraient les sarkozystes et les autres frustrés de la droite. Juan disait, après l'annonce que Sarkozy acceptait des négociations tripartes avec la CGT :

Sarkozy s'impatiente. La grève, sans être populaire, n'est pas franchement impopulaire non plus

Même si elle s'arrête demain, tout est chiraquisé, tout est redevenu compliqué. Il n'y aura pas de victoire franche capable de symboliser la défaite définitive du syndicalisme français. Quelle que soit l'issue réelle de ce conflit, et même si Sarkozy finit par être victorieux d'une certaine façon (ce qui n'est plus évident), ce sera une victoire embourbée qui ouvrira la porte à d'autres embourbements.

Alors, quoi : je souhaiterais l'embourbement de la "réforme" simplement pour nuire au pouvoir politique du président? En un mot, oui. Car même si je pense, mais en réalité c'est un autre sujet, qu'il y a des modifications à faire dans le modèle social français, je ne veux pas que ce soit Sarkozy, Fillon et Xavier B. qui les fassent.

(Update: je donne à ce billet mon premier flag "ducon"!)

14 novembre 2007

Déficit de communication

En commençant leur grève reconductible hier soir, les syndicats des cheminots sont-ils tombés dans un piège? Juan se pose la question depuis plusieurs jours. Effectivement, le durcissement du gouvernement la semaine dernière, l'impression partagée par tous les syndicats concernés que le pouvoir "cherchait la grève", tout cela a des allures de piège, de traquenard politique. En somme, plutôt que de trouver des cheminots-traîtres pour remplacer les cheminots, comme l'aurait fait Reagan par exemple, Sarkozy entendrait anéantir la crédibilité politique des syndicats en les isolant dans l'opinion.

Le terrain a été bien préparé, et le coup de "génie" était de focaliser l'attention sur le caractère spécial des régimes spéciaux et dénonçant une situation "indigne", contraire aux principes Républicains d'égalité et/ou d'équité qui sont si chers à ce Très Grand Homme (TGH). J'ai bien le soupçon que ce sera plus ou moins la dernière fois que le TGH fera ainsi appel à l'égalité économique. Ce qui m'amène à un argument simple à proposer dans les débats informels :

Si les systèmes de cotisation et de retraite doivent être pareil pour tout le monde, ne faudrait-il pas uniformiser aussi les salaires entre le public et le privé? Les écarts actuels ne sont-ils pas tout autant indignes.

Ce n'est pas nouveau comme argument, bien sûr, mais ce qui est navrant c'est qu'il est, aujourd'hui, à peu près impossible d'entendre dans nos chers médias quelque chose de ce genre.

Donc, s'il y a un piège, son seul mécanisme (pour l'instant en tout cas), c'est la communication politique. Et c'est là où l'on comprend l'énorme désavantage des syndicats. Non seulement Sarkozy continue à bénéficier d'un très large soutien dans les médias, mais lui et ses comparses sont quand même très doués pour expliquer au public leur position. L'arsenal médiatique des syndicats est pire que limité. Et le timide PS (genre Dray) ne va pas leur prêter main forte.

Cela dit, tout est très loin d'être joué : la popularité de Sarkozy est en baisse, les anti-sarkozysmes primaires et autres montent, la grève est très suivie, ce qui indique que, du moins pour une certaine catégorie de la population, le message est bien arrivé. De plus, il n'est pas impossible que l'attention médiatique donne aux syndicats la possibilité, justement, de s'exprimer et peut-être de convaincre.

12 novembre 2007

Figarouf

Ce matin, on lisait sur le site du Figaro un article intitulé : SNCF : les syndicats divisés face au conflit. Bon. Dedans, on apprend que la grève du 14 novembre sera beaucoup moins embêtante pour les voyageurs du fait que le syndicat des conducteurs autonomes, le FGAAC, ne participera pas au mouvement social. Ainsi, on apprend que "l’absence de la Fgaac sème la zizanie parmi les syndicats".

«L’absence de la Fgaac affaiblit sérieusement le mouvement , explique un membre de la direction de la SNCF. La négociation qu’ils ont entreprise avec l’entreprise trouble le jeu et révèle une division syndicale.» L’exécutif mise sur la fermeté. [...] D’après nos informations, la direction table sur un train sur trois. «Les 30 % de conducteurs Fgaac nous permettent d’espérer un tiers du trafic», révèle ainsi un de ses membres. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Vous avez bien lu. Un train sur trois. Et dans certaines régions, c'est même mieux:

Les usagers de Lille et Amiens, où le syndicat représente plus de 40% des conducteurs, devraient être bien lotis. «Nous sommes la première organisation syndicale dans notre région, indique un délégué Fgaac du Nord-Pas-de-Calais. Si nos militants nous suivent dans nos convictions, nous aurons un train sur deux le 14 novembre.»

Et selon l'heure de la journée, c'est encore mieux:

Lorsque l'organisation [FGAAC] a indiqué le 18 octobre au soir qu'elle se retirait de la grève, la SNCF a dû revoir précipitamment son plan de transport du lendemain et passer d'une prévision d'un train sur quatre à un train sur trois le matin et deux trains sur trois en fin de journée. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Ce matin, cela me paraissait curieux, tout de même, qu'il suffit d'avoir les conducteurs pour faire marcher les trains. Mais bon. Je bois mon café et je m'en vais.

De retour, et de retour du le site du Fig, imaginez mon étonnement quand je lis ceci en titre : "Un métro sur dix, un TGV sur huit". Là où l'article de ce matin promettait une grève light (ça commençait par "contrairement au 18 octobre..."), on apprend soudain que mercredi la prise en ôtage des usagers sera même pire que le 18 : "La grève du 14 s'annonce encore pire que celle du mois dernier."

Les prévisions de la SNCF ne sont pas plus encourageantes. 90 TGV seulement circuleront mercredi, contre 700 en période normale. L'Eurostar roulera normalement, de même que le Thalys, ce dernier pouvant cependant être retardé jusqu'à 30 minutes. Le trafic TER sera lui «très perturbé dans toutes les régions».

Encore plus étonnant, l'article du soir n'explique en rien pourquoi les informations du matin étaient mauvaises.

Je déteste être mauvais esprit, mauvaise langue, mauvais joueur, mais, tout de même, notre bon vieux Fig ne nous aurait pas servi de la bonne vieille désinformation anti-syndicale ce matin?

11 novembre 2007

La bonne vieille droite

Quelqu'un, à l'Elysée bien sûr, a dû envoyer un couriel, ou même une touite, assez clair au gouvernement, car toute la semaine, tandis que le Président faisait des faux cadeaux aux pêcheurs tout en se faisant insulter et en profitant pour insulter les bretons à nouveau, Fillon et son gouvernement ne parlent que de leur "fermeté".

«Notre fermeté», lance le Premier ministre, «ce n'est pas une posture, c'est une exigence de justice et d'équité», lance-t-il en défense d'un «projet raisonnable». (Libé)

Xavier Bertrand dit la même chose:

«Chacun doit être conscient que le mouvement peut durer, même si j'ai demandé aux entreprises des moyens de transport de substitution et un effort sans précédent d'information», ajoute-t-il. Il rappelle qu’«il est impossible de rester à trente-sept ans et demi de cotisation tant pour des raisons de justice que pour l’équilibre financier des régimes spéciaux.» (Libé)

Alors, du bluff? Certes, mais il y plus encore. Juan parle de "relents de thatcherisme dans l'attitude de l'équipe Sarkozy face aux grèves", et l'on sent que pour la droite c'est effectivement le Grand Soir, celui où ils vont enfin "nous" débarasser des syndicats, les briser comme Thatcher et Reagan. Les paroles de Xavier B. sont révélatrices : il demande "des moyens de transport de substitution", autrement dit ils vont essayer de contourner les monopoles de la SNCF, la RATP, les bus, etc.

D'autres ont montré comment ce qu'ils cherchent à obtenir ainsi n'est pas si incroyable, en termes de comptabilité. Mais c'est symbolique. On voit le retour de cette bonne vieille droite qui veut enfin prendre sa revanche. Les cafouillages de Villepin avec son CPE, l'absence totale de concertation, étaient dûs en large partie au fait qu'il pensait pouvoir devenir le héros de la droite, au dépens de NS, s'il pouvait imposer sa mesure. Maintenant, c'est le tour de Sarkozy, le Très Grand Homme (TGH), de lui montrer, de montrer à toute la droite, de quoi il est capable. Finalement, arriver aux mêmes "réformes" sans une "putain grosse grève", comme dirait CSP, ça ne les intéresse pas. Car il faut, à cette droite, pour des raisons obscures mais liées à des traumatismes dans la petite enfance, écraser son adversaire.

Bon courage Xavier, François et Nicolas.

9 novembre 2007

Se battre avec une image

Dans son commentaire à mon précédent billet, où je comparais Sarkozy à ces pères que l'on voit au supermarché, qui engueulent leurs enfants juste avant de céder à leurs demandes de bonbons, Juan posait une question existentielle:

J'essaie d'éviter de QUALIFIER le bonhomme (ie Sarkozy). Seule l'action parle, compte et fait mal. Non ?

Tout d'abord, on voit là ce qui doit donner à Juan l'énergie nécessaire pour faire l'énorme travail de veille et de commentaire qu'est Sarkofrance. Il dit qu'il a un travail, une femme et des enfants ; on se demande comment il arrive à publier autant d'informations. L'idée est très clairement de fournir, contre les manipulations médiatiques de Sarkozy, des faits, des faits et encore des faits afin que, contre l'illusion, il nous reste un peu, ou beaucoup, de vérité.

Je ne remets absolumment pas en cause cette approche, car il est nécessaire, dans le combat contre les illusions, de fonder son action dans la vérité. Je me souviens d'un essai de Vaclav Havel, qui parlait de ses années d'opposition au régime communiste Tchèque. Pour lui, la meilleure forme de résistance était de simple dire la vérité. C'était ce contre quoi le régime pouvait le moins bien se défendre. Quand Noël Mamère disait, à l'Assemblée, des mots durs mais justes contre la loi Hortefeux et l'amendement Mariani, il suivait la même ligne. La vérité est souvent le discours le plus blessant.

A ces considérations s'ajoute un autre ensemble de questions tactiques. Lorsque nous parlons de la personnalité de Sarkozy, ou de son divorce, de sa montre, de ses footings, ou des différents aspects hyper- du personnage, ne sommes-nous pas justement en train de solidifier l'image de l'homme, en contribuant, même avec un peu de mauvaise presse, à confirmer son statut de Grand Homme (Très Grand), larger than life? Ne faudrait-il pas se limiter aux faits, à du concret, en opposant la vérité et la raison aux mensonges et aux illusions médiatiques?

Voici pourquoi je ne suis pas tout à fait d'accord, malgré tout cela, avec l'objection de Juan : dans le monde politique dans lequel nous vivons, les faits et la raison n'ont pas malheureusement le poids qu'ils méritent. Ils sont nécessaires, mais ils ne suffisent pas. Les sondages du Très Grand Homme (TGH) sont en légère baisse, mais il arrive, encore, à courir plus vite que les faits, du moins dans l'oeil des médias et du grand public. Un jour, sûrement, les faits le rattrapperont. Mais en attendant, la force de la personnalité du Président -- et je veux dire par là sa personnalité publique, médiatique et politique, on s'en fout à peu près de sa vraie personnalité intime --, la perception publique de sa personnalité continue à être pour lui une arme ou un levier politique. Le voyage au Tchad était une préparation aux conflits sociaux ; si l'on aime déjà Sarkozy, on lui pardonnera sa dureté dans les conflits, on lui donnera raison contre les syndicats.

Du coup, il devient nécessaire de proposer d'autres interprétations de la personnalité du TGH. C'est ce que je faisais, rapidement et sans réfléchir, en l'imaginant au supermarché. C'est ce que faisait Raphaël Anglade quand il décrivait Sarkozy comme un président qui se couche chaque fois qu'il rencontre une quelconque résistance. Une image qui est aux antipodes de l'image populaire de Sarkozy, parfois même chez ceux qui ne l'aiment pas (je ne parle pas de la blogosphère, là, bien évidemment), et une image qui pourrait s'avérer destructrice pour Sarkozy, tellement la construction de sa personnalité politique est basée sur l'image d'un homme fort et ferme. Une image qui a aussi le mérite d'être vraie. D'où, bien sûr, sa puissance.

Donc, finalement, pas de désaccord, ni avec Juan, ni avec Vaclav Havel. Seulement, il me semble important d'admettre cette extension du domaine de la lutte pour inclure l'univers de l'image. Il est tout à fait possible que la réélection (ou pas) de Nicolas Sarkozy se jouera, dans l'inconscient populaire, dans sa façon se raconter son divorce d'avec Cécilia. Il ne l'a pas encore fait, mais il le fera. Et cela se jouera sur les pages glacées de Gala et de Voici. En s'opposant à Sarkozy, il est essentiel d'opposer à son image d'autres images de lui, moins flatteuses et, surtout, plus vraies.

7 novembre 2007

Sarkozy au supermarché

Nous connaissons l'image de Sarkozy le flambeur bling-bling, toujours prêt à lâcher quelque chose (genre centrale nucléaire et armements) pour appuyer son aura de puissance. Autrement dit, en se couchant devant l'adversité quand cela peut lui servir en termes d'image.

Je pense qu'il faut ajouter une autre image de Sarkozy : le père au supermarché qui engueule ses enfants, parfois violemment, parce qu'ils veulent des bonbons ou des jouets, mais qu'on voit, cinq minutes plus tard, en train de les rajouter dans le caddy.

6 novembre 2007

La radio de l'Etat

Je ne regarde pas la télé mais j'écoute assez souvent France Info, France Inter, et France Culture en voiture. Sur le plan politique, il y a bien sûr beaucoup d'entretiens très intéressants : Le Franc-parler et Le Rendez-vous des politiques notamment. Mais il y a des émissions franchement étonnantes, comme Là-bas si j'y suis de Daniel Mermet. Au moment de la lecture obligatoire de la lettre de Guy Môquet, l'émission a été très critique envers nos guainozystes.

Mais... les infos sur Radio France, aussi bien sur France Info que sur France Inter, se sont nettement sarkozysées. Je devrais toujours aller chercher les transcriptions quand c'est possible, mais souvent j'oublie. L'"analyse", ce matin, du voyage de notre Très Grand Homme (TGH) à Washington était tout à fait typique d'une approche qui est devenue systématique: l'"analyse" consiste à comprendre ce que Sarkzoy cherche à faire, en l'occurence s'installer, alors qu'il est en position de force et Bush en position de faiblesse, comme l'allié européen privilégié des USA. Mais tout est expliqué comme si la volonté de Sarkozy devait se traduire de façon quasi certaine en resultats concrets. Ceci peut donner une petite idée, si vous n'avez pas eu la chance d'écouter France Info ce matin.

Mais "ami ne veut pas dire rallié". Et s’il y a bien un rapprochement des positions des deux pays sur les principaux dossiers, ce serait une "erreur" de penser qu’il s’agit de "plaire aux Etats-Unis". "Le coeur de notre politique étrangère n’est pas la relation franco-américaine, mais de redonner à la France un rôle moteur dans la construction européenne", insiste-t-on à Paris

En somme, on répète la ligne de l'Elysée, sans essayer de comprendre les enjeux, sans essayer de voir si cela va marcher ou pas, quelles pourraient être les autres conséqunces.

Les "analyses" économiques que j'ai entendues récemment ont repris exactement la même méthode : "analyses" veut dire, en fait, simplement expliquer la ligne sarkozyzte, les réformes qui sont nécessaires, va-t-il pouvoir les faire, etc. Des experts en communication sont venus la semaine dernière pour parler du Grenelle. Ils tremblaient d'enthousiasme pour la manière dont Sarkozy a réussi sa communication. C'était magistral, il a surpris tout le monde.

J'ai eu néanmoins une petite émotion ce soir quand j'ai entendu les pêcheurs interpeller Sarkozy : "je ne peux pas m'augmenter de 140%, moi", Sarkozy qui s'énerve, "ce n'est pas vrai, vous le savez bien". C'était sur Inter, cet échange ne figure pas dans le reportage France Info, qui termine avec tous les pêcheurs en train de dire que Sarkozy a des "couilles au cul"... Même quand ça va mal, on trouve le moyen de détourner la discussion vers le style présidentiel.

4 novembre 2007

Ôtages?

Alors Sarkozy a remis les habits de Jack Bauer (ou bien ceux de Cécilia, mais ceux de Bauer risquent d'être plutôt à sa taille - Keiffer Sutherland n'est pas très grand), pour aller au Tchad chercher les hôtesses de l'air espagnoles et les journalistes français. Bien sûr, on ne peut qu'être soulagé de voir ces personnes innoncentes sorties d'affaire aussi rapidement. Et si c'était la première fois qu'un Sarkozy aurait effectué une telle mission, je serais bluffé. Sauf que... ce n'est pas la première fois et je ne suis donc pas bluffé, pas plus qu'une partie grandissante, petit à petit, de l'opinion.

Passée l'émotion des retrouvailles, il faudra poser à nouveau la question de des contreparties. Notre Très Grand Homme sera un peu plus tranquil cette fois, car il n'aura pas à se présenter devant une commission d'enquête de l'Assemblée, ouf!, à la différence de son ex-épouse. Lisez le billet de Luc Mandret pour avoir des idées de ce à quoi pourraient ressembler ces éventuelles contreparties. L'histoire risque d'être plus difficile à démêler cette fois, en l'absence d'un fils de dictateur bavard pour nous raconter les dessous de l'histoire. Mais justement dans ce brouillard, même s'il n'y avait pas de contrepartie du tout, même si Itno a lâché ces personnes juste pour être sympa avec la France, ce qui n'est pas tout à fait impossible, un doute planera au-dessus de cette affaire. Nous savons que le TGH n'est pas toujours irreprochable dans ces négotiations, alors qu'il faudrait l'être, justement.

Supposons, simple hypothèse pour l'instant, que Sarkozy ait bradé quelque chose au Tchad en échange de la libération des sept détenus. Ce ne serait qu'un exemple de plus de ces moments où, comme le dit très justement Raphaël Anglade, le Président "se couche". Mais Sarkozy ne lâche pas quelque chose d'important (une centrale nucléaire encore, des armes, une position diplomatique...) pour la France, mais pour sa propre position médiatique. C'est la République au service de la carrière politique et le trajet médiatique d'un seul homme. Mais ce sont tous les citoyens, toute la France, qui paient le prix. Tous ôtages de notre Président?

Récrivons la constitution!

Le rapport Balladur est sorti mais je n'ai pas encore mis le nez dedans. Les commentateurs commencent à commenter, et cela commence à être intéressant. J'espère pouvoir suivre tout cela.

Voici ma pensée du moment.

Libé publie un entretien avec Dominique Rousseau, "constitutionaliste", assez stimulant, qui parle beaucoup de la responsabilité socialiste dans la présidentialisation actuelle du régime, rendant à MM. Mitterrand et Jospin leur part de responsabilité, ni l'un ni n'ayant eu le courage d'entamer la nature présidentielle du pouvoir. Avec Mitterrand, on peut comprendre : il est difficile de diminuer son propre pouvoir, alors qu'avec Jospin, inventeur du quinquennat et de l'inversion du calendrier, qui n'était que Premier Ministre, il aurait était logique qu'il dé-présidentialise le système, plutôt que le contraire. Sauf qu'il se voyait déjà président, je suppose...

Bref, Dominique Rousseau reproche à la gauche le fait de n'avoir jamais rien fait pour promouvoir un régime parlementaire. De toute façon, depuis qu'on sort la IVe République à tout bout de champ, le parlementarisme a du plomb dans l'aile en France.

Restons donc dans l'hypothèse d'un régime véritablement présidentiel. Ce n'est pas mon souhait, mais puisque c'est à l'ordre du jour (déterminé par l'Elysée, bien sûr), il faut bien en parler. L'idée étant que, en reconnaissant au président son rôle de chef de gouvernement, on peut renforcer le rôle du parlément en conséquence, pour qu'il y ait un véritable contre-pouvoir institutionnel. C'est bien beau, mais dans les faits, c'est le plus pieux des voeux, puisque l'Assemblée risque d'être en permanence à la botte du président, élu en même temps qu'elle. Même si l'Assemblée actuelle pouvait définir son propre ordre du jour, pourrait-on parler d'un contre-pouvoir? A part l'amendement pour les tests ADN, on ne voit pas l'Assemblée "résister" beaucoup au Très Grand Homme (TGH).

C'est d'ailleurs l'une des remarques de Dominique Rousseau : il est très difficile en France de séparer l'executif de la législature. Surtout vu le comporement des partis politiques.

J'en viens donc à ma proposition. Mettant le pouvoir institutionnel fermement entre les mains du président, on garantit la stabilité des gouvernements. On peut alors rendre l'Assemblée plus volatile sans risque de voir s'éffondrer la République. Il suffit alors de la rendre plus réactive à la volonté du peuple en la faisant rélire plus souvent. Tous les trois ans, par exemple. Ou deux et demi.

Comme ça, au moins, la stabilité institutionnelle n'est pas menacée, mais le président doit prendre en compte la réalité politique d'élections rapprochées où les électeurs pourraient juger son action, avec risque de cohabitation si les choses vont mal.