22 juillet 2007

Ouverture du vide

Au cours d'une scéance de rattrappage sur Sarkofrance, je me rends compte petit à petit que cette tant vantée ouverture sarkozÿenne, pourtant cousue de fils blancs, pourtant annoncée comme technique pour « asphyxier » la gauche et « vider » le centre, pourtant détachée de toute action politique réelle (l'action étant l'un des thèmes constitutionnellement réservés au Président de la R.), je me rends compte donc que, du point de vue des médias en tout cas, ça marche à fond.

Ces derniers temps, je ne fréquente pas assez TF1. Il ne faut pas m'en vouloir. Quand on se renseigne en dehors des réseaux habituels, finalement, on risque de passer à côté de l'Esprit du moment. Et il est évident qu'actuellement dans l'Esprit médiatique, Sarkozy passe pour la réincarnation simultanée de Jaurès, de Gaulle et de Jésus Christ. (Il faut bien savoir être partout.)

S'il fallait une démonstration vraiment solide de ce succès, il suffit de lire ce gluant éditorial de Nicolas Beytout. (N'ayez pas peur, le lien est vers le billet de Juan.) C'est un texte franchement étonnant pour bien des raisons, à commencer par le degré auquel il est partisan. Beytout est le directeur de la rédaction du Figaro, mais son autosatisfaction et son ton condescendant, son identification non à des idées mais tout simplement à un camp, font que son... j'allais dire "billet" car il aurait visiblement sa place dans la blogosphère de droite... son papier change de genre, cesse d'être un éditorial pour devenir une sorte de tract sarkozyzte. Surtout, en quelques lignes, Beytout réunit tous les clichés possibles sur la gauche et son humiliation aux pieds du Très Grand Homme (TGH). Échantillons:

D'ailleurs, étant de gauche et donc lucide, je conviendrais que si nous nous sommes fait kidnapper quelques beaux symboles, nous sommes parvenus en retour à arracher son sobriquet à la droite pour devenir la gauche «la plus bête du monde». Si maintenant j'étais de gauche et combattant, j'essaierais de voir comment nous pourrions désormais subtiliser à nos adversaires quelques uns de leurs thèmes favoris, exactement comme ils nous ont piqué certaines de nos plus belles valeurs, à commencer par la défense du pouvoir d'achat.

Ainsi, de gauche et utopique, je me prendrais à imaginer que cet abandon réciproque de l'anathème pourrait nous valoir un jour un climat plus apaisé. En tout cas, étant de gauche et large d'esprit, je serais avide de ces débats et de ces échanges de vues. En somme, si j'étais de gauche et lecteur de Libération, j'adorerais le Figaro.

La gauche devrait être de droite; l'anathème, ce n'est pas la volonté de Sarkozy d'asphyxier la gauche, c'est la résistance de la gauche aux vertus de l'ouverture. Et ainsi de suite. Il faut le lire, car vraiment tout y est.

Alors, pour revenir à ce que je disais, les choses vont mal, car en temps normal, un tel parti-pris ne devrait pas être recevable, même auprès des dignes lecteurs du Figaro. Et pourtant, si.

Et puis la question : comment est-il possible d'en être là?

Côté TGH, c'est tout de même assez intéressant. Je l'ai déjà dit, mais je pense que c'est l'une des clés de la question : la présidentialisation du pouvoir et l'ouverture font parti d'un même système. Sarkozy a procédé, dès son élection, à un recentrement du pouvoir à l'Elysée. Aussi bien du pouvoir politique que du pouvoir opérationnel, y compris la police, la diplomatie et les renseignements. Le gouvernement dans son ensemble subit le même sort que le premier ministre, comme une sorte de vestige du lointain passé parlementaire qui aujourd'hui sert surtout à faire de la com', voire de la comédie. Et c'est là qu'arrivent les figurants de gauche, qui, quitte à faire de la figuration, préfèrent la faire à droite avec voiture, chauffeur et tout le reste. Jamais l'ouverture n'atteindra les vrais centres du pouvoir sarkozyen.

Autrement dit, Sarkozy a réussi à détacher le pouvoir réel de l'image du pouvoir. Le parlément, le premier ministre, le gouvernement avec ces débauchés sont des acteurs dans un soap : nous allons nous émouvoir de leurs drames personnels, ricaner quand le Très Grand Metteur en Scène (TGMS) les dresse les uns contre les autres, distribue des bons et des mauvais points, les traiter comme s'ils participaient vraiment à l'exercice du pouvoir parce qu'il le faut bien justement pour préserver le sien, mais toute cette reality show n'aura que très peu d'impact sur la réalité des choses. Dans ce contexte, « l'ouverture » était bien sûr un coup de génie, car, hormis quelques fidèles sarkozystes de la première heure qui en sont sortis bredouilles, cela ne mange pas de pain!

Côté PS, toute la difficulté est dans la façon d'expliquer aux téléspectateurs ce grand montage du spectacle politique. J'en conviens : ce n'est pas facile du tout, surtout que, pour le faire, il faut bien diaboliser Sarkozy, qui profite du fait que l'on n'ose pas l'imaginer, médiatiquement parlant, si machiavellique.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonne analyse, vraiment !

Je pense que tout cela, ce tour de passe-passe du Néo-Président n'est possible que grace à la collaboration (je pèse mes mots) d'une très grande partie de la presse dite libre.
Les autres journalistes ayant tout lieu de crier dans le désert et n'étant plus relayés…

Tout cela est grave pour la démocratie…

:-)

o16o a dit…

Oui, la presse avale tout cela avec beaucoup d'appétit. En partie parce que certains sont de mêche, mais aussi parce que Sarkozy sait exactement ce qui va leur plaire.