29 juin 2008

La France imaginaire

Il n'est même pas nécessaire d'aller chercher des liens pour citer les diatribes de Nicolas Sarkozy et/ou François Fillon contre les trente-cinq heures. Je suis en train de lire la contribution de la Nouvelle gauche alors prenons leurs exemples :

"Les Français travaillent moins que leurs voisins" affirment François Fillon et Nicolas Sarkozy.

On sait pourtant qu'il n'en est rien, que dans les pays bosseurs auxquels on compare la France fainéante, la part du travail à temps partiel fait qu'on travaille même moins qu'ici. Ici (ou plutôt ici)on voit des chiffres de l'OCDE qui donnent, pour 2006, ces fainéants de Français qui travaille 38 heures par semaine, devant les encore plus fainéants Anglais qui n'en font que 36,9.

Quand des grands hommes politiques disent que les Français, avec leurs 35 heures, travaillent moins que les voisins, c'est qu'ils ne parlent pas de tout le monde, mais seulement de ceux qui ont la chance d'avoir un boulot à plein temps. En disant cela, je ne dis rien de nouveau bien sûr. C'est juste le point de départ.

Il y a quelques mois encore, j'aurais parlé de la tendance de notre Très Grand Homme (TGH) à voir la société selon des castes définies en termes moraux. La caste des travailleurs est moralement supérieure aux autres. Celle des grands patrons comme Lagardère et surtout Bolloré est de loin supérieure à celle des travailleurs méritants, et ainsi de suite. Aujourd'hui je suis plutôt indifférent aux déformations de la réalité du TGH. Sa personnalité, ses psychismes, ne m'intéressent plus. Ce qui est en revanche intéressant, significatif, c'est qu'une partie pas du tout négligeable de la population continue à accepter ces fariboles sur le travail et les 35 heures.

Le discours UMP sur les 35 heures fonctionne parce qu'il concerne ce pays imaginaire, cette France typique où tout le monde qui le souhaite travaille au moins la durée légale, cette France de parc d'attraction qui n'a jamais été un pouvoir colonial, où pour règler les problèmes d'intégration il suffit d'empêcher l'arrivée des immigrés, cette France où les classes moyennes gagnent 4000 euros par mois comme l'affirmait l'inimitable Jean-François Copé.

Evidemment, cette France là n'existe pas, du moins pas dans la réalité, mais elle existe bien dans l'imagination des électeurs : c'est une réalité symbolique sur laquelle les statistiques comme celle de l'OCDE n'ont aucune prise. C'est pourtant sur ce terrain qu'il faut trouver les mots pour renverser les images.

25 juin 2008

Loudéac (la guerre aux blogs)

C'est triste, mais on ne compte plus les cas de blogueurs politiques à qui on fait des procès. Enfin, si, on les compte, car s'il y a un domaine où les blogueurs doivent d'être tout particulièrement, c'est bien celui-là, la protection de leur propre liberté d'expression.

N'étant pas juriste, je ne sais pas quelle est la stratégie appropriée. Etant en revanche blogueur, j'ai néanmoins l'impression qu'il est surtout important de faire du bruit, afin que les auteurs de ces procès paient un prix, en termes d'image.

Le face-à-face entre un élu UMP et un blogueur n'est pas à armes égales dès lors qu'il s'agit de la justice. Les blogueurs, qui ne sont même pas bénévoles (puisque ne travaillant que pour eux-mêmes, au fond), n'ont pas, la plupart du temps, de ressources pour résister à ce genre d'attaque. La seule façon de rétablir la symétrie, c'est donc de crier plus fort, et là, la blogosphère a quelques atouts qui ne sont pas forcément négligeable.

Ainsi, j'espère que personne n'oubliera qu'Yves Jégo a traîné en justice un blogueur qui a osé le traité d'"apparatchik". Franchement, dire de Monsieur Jégo que c'est un "apparatchik", c'est inadmissible. On peut se demander si le pauvre s'en est remis de ce traumatisme. Heureusement que François Fillon lui a donné un poste pour le consoler.

Mais venons-en aux faits. C'est Nicolas J. qui nous renseigne sur le cas de Louis, ce blogueur à Loudéac, la municipalité surtout connue pour avoir produit l'un de nos blogueurs les plus influents, traîné en justice par le maire de la commune, apparamment pour avoir parler de "fascisme" dans un billet traitant des élections municipales. Gaël en parle aussi, ainsi qu'Antoine_B.

Espérons que le bruit se transformera en buzz, et que le buzz se transforme en bruit, et ainsi de suite.

24 juin 2008

Gauchitudes 5 (Mondialisation et mon crédo socialo-traître)

En politique, il est sûrement plus efficace de raconter n'importe quoi promettant des miracles, que de s'en tenir à la réalité et ce qui possible ou du moins probable. Il y a pourtant un risque. La dernière élection présidentielle et la déception qui en est aujourd'hui la consquénce fournissent un exemple. Pour la gauche, du moins pour la gauche dite "de gouvernement", la gauche bien molle et socialo-traître, l'exigence de réalisme est plus grande que pour toute la droite, ainsi que pour la "gauche-gauche vraiment à gauche".

La droite aux allures de banquier

Accordez-moi une petite digression où je raconte mes perceptions des choses. La droite, qui représente la classes dominantes et les puissances financières, passe d'emblée pour plus sérieuse. Dans l'imaginaire collectif, c'est elle qui est plus près des chiffres et des comptes en banque. Du coup, quelqu'un comme Sarkozy peut se permettre de raconter (et de faire) n'importe quoi, son aura de compétence financière reste intacte. Et puisque l'économie et la finance sont difficiles à expliquer au plus grand nombre, l'aura compte pour beaucoup. En même temps, on soupçonne la gauche réaliste d'être idéaliste et de trafiquer les chiffres pour vendre des utopies. La quasi-impossibilité pour la gauche de convaincre "les Français" (créature mythologique) que les 35 heures ont contribué à créer des emplois nous fournit un très bon exemple de cette réalité malheureuse. La moindre possibilité d'incohérence dans un programme économique de gauche sera exploité par cette droite qui a avalé le paquet fiscal, le "travailler plus" et les autres sornettes sans regarder la liste d'ingrédients. Telle est donc la situation d'une gauche "réaliste".

La gauche utopiste

Car la gauche idéaliste ne souffre pas des mêmes problèmes. Celle-ci, qui ne vise pas du tout le même public, n'hésite pas à extrapoler à partir des défauts et les insuffisances du capitalisme actuel une vision fantastique où tous les torts seraient redressés, les faibles rendus forts, l'économie définitivement soumise au désir politique collectif. En disant cela, j'ai sans doute l'air trop cynique, alors que j'ai une réelle sympathie pour cette démarche, à laquelle j'ai même cru quand j'étais jeune et influençable. Cette critique extrême du présent peut d'ailleurs donner des réflexions intéressantes. Marx reste excellent dans son analyse du capitalisme ; ses propositions sont un peu datées, en revanche.

Pour la socialo-traîtrise

Pour un parti comme le PS, cette porte reste plus ou moins fermée, même si de temps en temps l'aile gauche sort des contre-propositions qui rappellent ces mêmes fantasmes. L'un des domaines qui suscite le plus d'idées dans ce genre, c'est la mondialisation. Il est certainement rassurant de penser que pour reprendre le pouvoir, pour replacer la politique économique dans un cadre national, il suffirait de faire ci ou ça, taxe Tobin, nouveaux accords internationaux pour empêcher les délocalisations. Tirer ainsi des plans sur la comète, en faisant croire qu'avec l'impulsion de la France, les peuples du monde vont décider de freiner la mondialisation, c'est vendre une fiction compensatrice. C'est presque impossible au sein de l'Europe. S'il faut impliquer la terre entière, ce ne sera pas tellement plus simple.

On m'a dit, il n'y a pas longtemps : "vous avez beau ne pas aimer la mondialisation, elle est là". J'ai tendance à penser que, puisque ce nouveau système est là, qu'il faut le rendre véritablement équitable, autre chose qu'un moyen pour garantir que les grandes sociétés internationales aient accès aux marchés et aux ressources naturelles des pays du tiers-monde.

Pour une gauche qui se veut responsable, promettre de rétablir un équilibre calqué sur ceux du passé d'avant la mondialisation, c'est mentir aux gens. Les effets de la mondialisation peuvent en revanche être traités : faire des aides aux entrerpises un lévier pour empêcher les délocalisations, recentrer la politique industrielle sur des activités qui ne peuvent pas être délocalisées, protéger les citoyens avec un système de sécurité sociale efficace, rendre la politique et l'économie plus locales (pour revenir à ce que je disais dans des gauchitudes précédentes). De ce point de vue, il reste, j'en suis persuadé, beaucoup de politique à faire, au-delà de la simple bonne gestion. Mais faire semblant qu'une grande alternative va venir tout bouleverser et tout remettre comme avant est irresponsable.

21 juin 2008

Kamizole libre

Lait d'beu est revenu après neuf jours d'"incidents techniques". Est-ce une façon pour Le Monde d'encourager kamizole à chercher un plateforme de blogage mieux adapté à une parole véritablement libre? Ou de la simple incompétence ? Toujours est-il que kamizole s'est offert un nouveau blog, le Rabicoin, ce qui signifie, apparamment, en solognot, "un espace réduit dans la maison : appentis, arrière-cuisine, débarras".

Je n'ai pas pu m'ajouter au buzz pro-kamizole. Heureusement que Circé et Gaël étaient là.

19 juin 2008

Parking

Alors, comme ça, je suis en voyage. L'année dernière j'avais donné pour titre "Omelette en vadrouille", c'est fois c'est carrément "Omelette en cavale". Enfin, toutes proportions gardées, bien sûr.

L'autre jour, donc, je me retrouve dans une ville de taille moyenne où, à peu près tous les ans, je laisse ma voiture dans un petit parking dans la gare. Le grand jeu, c'est qu'avant d'arriver à la gare, il est impossible de savoir s'il y aura de la place. Si c'est complet, c'est à peu près tout le voyage qui est foutu en l'air. Du coup, je me laisse un peu de marge, quand je peux.

Cette fois, j'arrive à la gare bien à l'avance. La guichettière, à qui je veux acheter mes quinze jours de place, m'indique que ce service n'est plus géré par la SNCF, et qu'il faut que j'aille voir au bureau du parking. Impossible de savoir si l'air un peu agacé de la guichettière est la conséquence de cette privatisation mal acceptée, ou si c'est juste qu'elle n'en peut plus d'expliquer la même chose à des ignorants, un peu incrédules, de mon espèce. Toujours est-il que je fonce vers ce "bureau" que je finis par trouver. Sur la porte, "EFFIA". Sur la porte qui est fermée à clé... Je me crois en plein scénario catastrophe, j'envisage déjà toutes les annulations en chaîne auxquelles je vais devoir procéder.

Je retourne à la gare pour chercher du secours, mais pour la SNCF, le parking n'existe plus du tout. Ils ne peuvent rien faire pour moi, sauf me renvoyer devant la même porte fermée à clé, devant le même bureau vide.

Par bonheur, il y a un numéro national sur la porte et je réussis à joindre une centrale quelque part, une dame qui, elle, réussit à joindre le responsable, un grand blond sympathique, qui est dans un autre coin de la gare et qui arrive assez rapidement. Pour vous rassurer, cher lecteur, j'ai eu mon train, j'ai pu stationner ma pauvre bagnole, tout est rentré dans l'ordre. Le responsable - responsable de mon niveau de stress, déjà - explique que la SNCF ne voulais plus s'embarrasser avec les parkings, que leur boulot était de "mettre des gens dans les trains", pas de s'occuper des parkings.

Le prix du stationnement a néanmoins doublé, ce qui ne m'a pas gêné sur le coup, mais qui me fera réfléchir la prochaine fois : on s'approche du point où d'autres solutions seront plus rentables pour moi, le taxi par exemple. Je réfléchis donc.

Une fois installé dans mon TGV, je réfléchis encore : qui est donc cet EFFIA ? Dans d'autres gares je commence à voir la même enseigne un peu partout, sur des fauteuils roulants, sur des blazers bordeaux de gens très occupés... Qui a décidé d'accorder cette concession à une entreprise privée ? C'est visiblement une décision nationale : EFFIA est partout. Et quel sera le gain ?

De mon microscopique point de vue, il n'y aura pas la prochaine fois que des désavantages : je vais pouvoir téléphoner à l'avance pour réserver ma place. C'est bien. Mais la place va coûter deux fois plus cher. Est-ce là l'efficacité recherchée ? Désormais, EFFIA sera obligé de maintenir mon gaillard dans son bureau, payé à plein temps pour s'occuper d'une grosse douzaine de places de parking (Ou a-t-il d'autres responsabilités mystérieuses ? je l'ignore.)

En termes matériels, dans la perspective de cette petite gare de province (je ne parle pas de l'ensemble du pays, évidemment), le nouveau système est beaucoup moins efficace. Il faut désormais un bureau, un bonhomme, voire plus car les heures de présence dépassent les 35 ou même les 39 autorisées. Jusque là, le personnel de la gare suffisait pour gérer leur carnet que les guichettiers passaient entre eux. Le parking était aussi disponible que la gare, vivait au même rythme. Surtout, l'ensemble du personnel, ou presque, aurait été capable de m'aider dans mon désarroi. Et qu'est-ce qui va arriver quand EFFIA, racheté par je-ne-sais-qui, ou sous la pression de mauvais résultats trimestriels, décidera qu'ils ne peuvent plus se permettre cette lubie qui consiste à payer un type (ou deux) pour gérer seize places de parking, et qu'il faut retirer leurs billes des trous perdus à flux insuffisants. Car les flux de voyageurs dans mon cas risquent de se tarir, en effet, au vu de l'augmentation des tarifs. Il ne me semble pas déraisonnable d'imaginer qu'un jour, sous l'effet de cette douce privatisation, il n'y aura plus de parking du tout.

Je ne suis pas encore revenu chercher ma voiture, si j'ai le temps j'essayerai de poser la question : en avaient-ils vraiment marre de s'occuper du parking? Ou est-ce seulement au niveau national?

Cette petite fable (qui finit bien, pour l'instant) me fait penser à ce que j'essayais de dire dans mes gauchitudes. La décision de confier les parkings de la SCNF, et sans doute bien d'autres services encore, était visiblement nationale. Imaginons qu'il y ait un gain financier pour la SNCF, un gain en efficacité, ou que, en tout cas, la Société a réussi un joli coup, un bon marché avec EFFIA. Mais pour ma petite gare, ce n'est pas si évident, et on peut même imaginer que pour elle c'est une mauvaise affaire qui va conduire à la perte franche de ce petit parking et de ses petites recettes, et de ce service pour les voyageurs. Quel système aurait permis soit de maintenir l'ancien système qui s'appuyait sur les ressources humaines de la gare, soit de trouver une solution locale, où l'intérêt économique du nouveau gérant serait de maintenir le parking.

La morale de cette fable n'est sans doute pas encore vraiment écrite. Je me demande où est la véritable efficacité, et si elle est systématiquement du côté de l'entreprise privée. Enfin, je me demande surtout comment faire pour que l'on cesse d'avoir cette habitude de pensée, ce réflexe, qui consiste à supposer toujours que l'entreprise privée va apporter plus à un moindre coût.

15 juin 2008

J'arrive... bientôt

Une semaine sans billet, et j'en suis malade. Enfin, presque. Je n'avais pas prévu cette absence, mais parfois il y a trop à faire dans le monde de la viande pour blogueur correctement. J'espère revenir vite, mais je sais par avance que c'est toujours difficile de retrouver son rythme. D'autant plus que ces gauchitudes sont plus difficile à écrire que ce que j'avais envisagé. Tant pis. Je sais ce qui va être dans le prochain numéro, dès que j'aurais le temps de le faire.

En attendant, la blogosphère bouillonne : les amis blogueurs ont discuté avec Ségolène Royal, Lait d'beu est encore suspendu, ce qui est inquiétant quand même, Olivier Bonnet a un nouveau site tout beau (il faut remettre à jour les aggrégateurs et les liens). Bref, une semaine que j'aurais préféré ne pas manquer.

Là je pars en voyage, en général c'est l'occasion de bloguer un peu plus.

A bientôt.

9 juin 2008

Gauchitudes 4 (Point de vente)

Dans les deux dernières livraisons dans cette série de gauchitudes, j'ai voulu mettre l'accent sur l'aspect local et fragmentaire du pouvoir politique qu'une future gauche pourrait chercher à mettre en place. Maintenant, je voudrais revenir à la question pratique : comment vendre politiquement, électoralement, une telle idée. Pendant la campagne de 2007, la démocratie participative a posé quelques véritables problèmes de communication. On a souvent reproché à Ségolène Royal d'avoir passé plusieurs semaines à écouter les Français, période qui a servi à Nicolas Sarkozy pour démarrer tranquillement sa machine à communiquer, occuper déjà pleinement la scène, etc. Martin P. disait quelque part que la démocratie participative avait comme faiblesse tactique le fait de faire taire celle qui voulait l'imposer. Et plus grave encore, peut-être, la démocratie participative semblerait incompatible avec le format de plus en plus individualiste de l'élection présidentielle.

Suite à une conversation web 0.7pl12 que j'ai eue avec lui, Dagrouik résume ainsi la situation :

[...] le français à peur du bordel, de l'inconnu et en même temps veut donner son avis sur tout. Face au saut dans l'inconnu, il a préféré le caporalisme et la présidence à la Berlusconi de Sarkozy. Le français a peur du bordel (et du changement ), mais il vit dedans, et au final l'organise lui même avec tous les moyens qu'il dispose.

Il ne faut pas oublier non plus que si chacun veut s'exprimer, et à la rigueur être écouté, il est moins évident que notre électeur accepte que les autres aient le même droit à l'expression et soient tout aussi bien écoutés. Le Très Grand Homme (TGH) a réussi sa campagne grâce à sa capacité à convaincre les téléspectateurs que quand il disait : "les Français sont des fainéants", chacun comprenait qu'il parlait seulement des autres. Il ne faudrait pas négliger cet aspect des choses.

Ainsi, même si je pense que la démocratie participative pourrait être une très bonne chose, il ne faut pas se faire d'illusions sur les faiblesses tactiques qu'elle engendre. Il faut donc la vendre autrement.

Un peu de mercatique

Vous vous souvenez? La "mercatique", c'est le mot censé être l'équivalent officiel de l'anglais marketing. (Le mot n'a pas bénéficié d'assez de marketing pour s'imposer. Il a peut-être l'air trop mercantile aussi...)

Comment donc vendre l'idée d'un rapprochement entre le citoyen et les instances de décision collective, sans paraître faible soi-même, ou encore ? Je parle pas, là, seulement de la démocratie participative à la Royal, mais des toutes les mesures de démocratisation imaginables : le candidat qui proposera de limiter le pouvoir de président pour augmenter celui du parlément (autrement qu'avec des micro-mesures même pas symboliques), passera pour faiblard, cherchant à botter en touche et donc pas à la hauteur, limite incompétente. Pardon : je voulais dire : "incompétent". (Cela ne vous rappelle rien?)

Imaginons que toute la gauche se mette derrière cette idée. Deux approches se présentent alors : vendre ces idées comme une manière de contrer des siècles d'injustice, la victoire des faibles contre les forts... ou bien comme une façon de doper l'économie, libérer les énergies, rendre la vie plus amusante, positiver un max, "ensemble on peut tout faire sauter", "on va se marrer", etc.

(Dans le prochain numéro j'essaie de fournir quelques idées plus concrètes pour vendre.)

5 juin 2008

La blogosphère propose

Une brève pause dans les gauchitudes pour remarquer que curieusement, d'autres que moi sont parti dans une direction semblable au même moment, sans aucune concertation. Je pense notamment à Peuples qui nous fait un bel article. Mais Nicolas J. s'y lance aussi, s'interrogeant sur la gauche et lui. Ou lui et la gauche, il faudrait que je relise son bille.

Et puis Didier B. avait, il y a bien longtemps, commencer à fabriquer son propre programme politique. Sans oublier bien sûr Congrès Socialiste par ses Militants (CSPSM), qui s'est donné pour but de lancer justement ce type de réflexion.

Pas besoin d'être un spécialiste de la Webpolitic_2.0 pour voir que, en l'absence d'un débat d'autre chose que de positionnement, la blogosphère chercher, en tatonnant, à prendre le relais.

Pour ma part, il est fatiguant, à la longue, de ne faire que de taper sur Sarkozy. (Je ne sais pas comment Juan fait pour rester aussi vigilant, en ce moment j'aurais plutôt tendance à m'endormir au volant.) Et, du point de vue de l'efficacité, il devient de plus en plus évident que l'opposition à Sarkozy, à Fillon, à Copé (mon préféré pour l'instant) ne sera vraiment utile que si une alternative politique existe. Alors, il faut réfléchir. Heureusement qu'on est nombreux.

Souhaitez-nous bon courage!

4 juin 2008

Gauchitudes 3 (Fragmentons)

Troisième livraison dans cette série de gauchitudes, une suite de brouillons pour tenter d'imaginer ce qui pourrait être une gauche... comment dire?... moderne, sans être fade.

Pour une France fractale

A cette idée, celle de réduire, au nom de la démocratie, la distance entre l'instance de décision et ceux qui la subissent, il faudrait ajouter une autre, dans le même esprit. Malgré la force de l'idéologique qui revient à une égalité de façade, la France est un pays pyramidal. De fond en comble. Ou plutôt de comble en comble. Profondément pyramidal, sauf pour la partie profonde. Je ne parle pas seulement de nos cumulards politiques, qui mélangent allègrement les différents strates des institutions, mais aussi les responsabilités à l'intérieur des partis. Après il y a les hauts fonctionnaires qui trouvent si facilement à la tête des grands groupes industriels. Et ainsi de suite, car ces vieilles habitudes sont un peu partout. Je n'ai sans doute pas besoin de faire un dessin.

Ainsi, une gauche qui décentralise, qui dégroupe, qui fissure un peu la grande pyramide de L'État, doit d'abord prendre de soin que ce ne soient pas toujours les mêmes qui se présentent aux différents niveaux, comme autant de points de suture sur les lignes de fracture. L'anti-cumulardisme est devenu presque consensuel à gauche, du moins lorsque celle-ci est dans l'opposition. Il me semble important d'aller plus loin, d'abord en en faisant une valeur politique, à lire dans la grande narration de la lutte entre des faibles contre les puissants. C'est peut-être justement l'erreur du socialisme "responsable", celui qui est capable de gouverner : l'oubli de cette narration qui est pourtant le point commun de toutes les gauches, et l'oubli presque symétrique du fait que, même si on est de gauche, lorsqu'on accède au pouvoir on est dès lors un "puissant".

La seconde extension de la lutte contre le cumul est plutôt son élargissement, au-delà du domaine politique proprement dit. Je pense tout d'abord au système des Grandes Ecoles qui draînent des Universités nos meilleurs étudiants pour en faire un caste de dirigeants, tout en paupérisant ces mêmes Universités. Si je me souviens bien, Ségolène Royal et François Bayrou avaient fait des gestes dans ce sens pendant la campagne présidentielle. Il faudrait aller plus loin, et de façon plus concrète. Et ce n'est qu'un exemple du type de transformation nécessaire pour rebattre un peu les cartes sociales. (Il faudrait revisiter le thème de ce conservatisme social à propos de l'absence de redistribution : un système social trop redistributif risquerait de chambouler l'ordre social.)

Et une autre dimension de cette même lutte serait, idéalement (encore qu'il faudrait trouver les moyens pour y arriver), l'ouverture de nos chères élites à toute l'énergie et l'intelligence qui sont confinées à l'autre extrèmité de la pyramide, chez ses intouchables de la République que sont les jeunes dits hypocritement "issus de l'immigration", c'est-à-dire issus du colonialisme français. Je pense notamment à ceux qui, malgré leur réussite scolaire et universitaire, n'obtiennent d'entretien d'embauche que s'ils mettent un faux nom bien gaulois sur leur CV.

Bien sûr, il s'agit là de la connivence entre L'État, le capital et la structure de la société. Kevin, qui vient de lancer un beau blog, fait la distinction entre le marché et le capitalisme, ce dernier étant, si je peux résumer, une distorsion, très ancienne et plus ou moins inévitable, du premier.

La chasse au cumul économique et social devrait avoir pour but non pas de seulement donner quelques points de pouvoir d'achat aux ménages modestes, par exemple, mais de favoriser l'inclusion d'un nombre croissant des citoyens dans le jeu, rendant du coup le jeu plus légitime et plus juste.

2 juin 2008

Gauchitudes 2 (Boucle locale)

Suite de la série des Gauchitudes.

Boucle locale

Je suis de ceux qui pensent que le marché peut faire bien certaines choses, souvent mieux qu'une planification étatique. Hier je parlais de la confrontation entre le marché et l'Etat, et jmfayard a souligné l'intérêt qu'il y avait à ne pas rester dans la simple opposition Etat/marché. Cette idée me semble essentielle, en effet, pour sortir de certaines des vieilles habitudes qui font que les désirs de la gauche se heurtent à des réalités financières comme le pacte de stablité. Il n'y a pas que la gauche pour s'y heurter, bien sûr... mais passons. D'un côté, l'Etat est l'expression du collectif, et donc le rempart contre la dureté des "fins de cycle", mais d'un autre, l'étatisme n'est pas, en soi, une valeur de gauche. Et pourtant, c'est ce que l'on a souvent reproché à la gauche, parfois avec raison.

Le rapport entre l'Etat et le marché n'est pas seulement une question de bonne gestion, ou d'efficacité, mais une question éminement politique, une "conviction" comme le disais hier Monsieur Poireau. Quel choix veut-on faire entre l'efficacité des marchés et la souffrance humaine engendrée par krachs et autres couacs ? Que vaut cette souffrance?

Reprenons ces arguments d'efficacité du marché, qui dissimule un autre type de problème politique. L'efficacité du privé est devenue une idée reçue, que même la gauche n'essaie plus de renverser. Encore une fois, je ne veux pas m'enfoncer dans l'opposition entre l'État et l'entreprise, mais suggérer que l'avantage de l'entreprise (toujours en termes d'efficacité) sur l'État n'est pas nécessairement une loi économique, mais, en partie du moins, une question d'échelle : les petites structures sont parfois plus efficaces que les grandes. Et l'Etat est l'une des plus grandes structures, avec une mention spéciale pour l'Etat français avec sa prédilection pour la centralisation. Mais même à l'intérieur du monde de l'entreprise, il ne manque pas d'exemples qui montrent la même chose : souvent la très grosse boîte où il faut faire des centaines de réunions pour faire ci ou ça, n'est, comparée à une petite start-up, ni efficace ni innovante, n'arrive pas à s'adapter aux réalités du monde, partage en fait la plupart des défauts habituellement attribuées à l'État, seulement à une échelle différente.

Souvent nos amis libéraux semblent penser que la légendaire efficacité du "privé" est due à la pression des resultats sonnant et trébuchants et au poids des actionnaires, alors que souvent ces supposés avantages sont dûs simplement au fait que l'entreprise peut agir dans une logique plus locale, avec moins de distance entre les instances de décision et l'application de ces décisions. Et quand on dit les choss comme ça, on s'aperçoit que cette efficacité là n'est pas nécessairement réservée aux entreprises, mais peut être partagée des entités collectives.

Voilà donc une valeur de gauche qu'il me semble important, et utile, de défendre. Certes, c'est François Mitterrand qui a lancé la décentralisation, certes le PS est globalement crédité pour être efficace (tiens!) sur le plan local et régional, mais il faudrait encore enfoncer le clou pour en faire une valeur de premier plan. La démocratie participative, est, me semble-t-il, une tentative d'aller dans cette direction, même si pour l'instant le cadre reste celui d'une prise de décision nationale.

Et, bien sûr, ce n'est pas seulement une question d'"efficacité". Le rapprochement entre le citoyen et les instances de décision est un enjeu profondément démocratique, et profondément "gauchiste".

1 juin 2008

Gauchitudes 1 (Fins de cycle)

Depuis longtemps, j'ai l'idée de faire une sorte de "Déclaration de principes" personnel, ou un "Billet de politique générale", pour essayer de préciser une pensée autrement qu'en réagissant à l'actualité. Car, au fil des billets, il y a quelques principes qui reviennent :

  • L'efficacité politique : il faut, avant presque tout, gagner des élections.
  • Pédagogie combative : l'efficacité politique ne suppose pas nécessairement une course vers le centre ou vers le consensus du jour, mais plutôt une prise de position facilement communicable.
  • Se méfier des idéalismes politiques : résister à la tentation d'ériger une pensée politique en utopie ou en monde parallèle qui finit par empêcher toute action réelle.
  • Corrolaire de cette méfiance : même un programme parfait risque de perdre face à une communication plus habile. Il est naïf de penser que les idées suffiront à vaincre la com'.

Il y en a sûrement d'autres auxquels je ne pense pas pour l'instant.

En tout cas, j'en étais là dans ma réflexion, quand, l'autre jour, suite à ces discussions passionnées mais finalement un tantinet stériles sur "libéral et socialiste", j'ai eu l'idée de faire un billet de réflexion sur ce que "gauche" pourrait signifier à partir de maintenant, billet que j'aurais publié sur Congrès Socialiste par ses Militants, le blog créé par Marc Vasseur pour essayer de laisser penser et parler les militants PS en dehors des circuits habituels du pouvoir socialiste. Et je me suis lancé, avec la naïveté que l'on tolère, j'espère en tout cas, chez des sympathisants comme moi à qui ont peut-être manqué quelques chapitres dans la théorie du socialisme, mais qui aiment bien songer à tout ça de temps en temps.

L'obstacle, dans la rédaction, auquel je me suis tout de suite heurté, c'est qu'il y a bien trop de choses à dire, même en se limitant à la politique économique, et qu'en plus le bloggage ne vous prépare pas forcément à l'élaboration de théories organisées en grand 1, petit B, troisième alinéas du sous-paragraphe 37... D'où, après quelques pages de rédaction d'un billet fleuve, ma dernière idée géniale en date, qui est de publié ici, en préparation, des bribes du Grand Billet, pour avancer tout doucement en bénéficiant peut-être de quelques réactions.

Donc, je lance une série de billets qui vont s'appeler "Gauchitudes". Et voici le premier billet-fragment:

Fins de cycle

Prenons cette définition de la distinction entre une vision libérale et une vision keynesiènne, dans Introduction à l'économie de Jacques Généreux (4e édition, Points, 2001), un manuel d'économie destiné, paraît-il, aux "lycéens et étudiants" :

Le courant classique fait confiance au mécanisme des prix pour maintenir tous les marchés en équilibre, même à la suite de chocs susceptibles d'entrâiner chômage, récession, inflantion ou déséquilibre des échanges extérieurs. En conséquence, l'intervention de l'Etat n'est pas nécessaire ; le courant classique est donc libéral. [...]

Le courant keynésien estime au contraire que le mécanisme des prix est insuffisant pour absorber les chocs auxquels sont confrontés les différents marchés. L'économie de marché laissée à elle-même peut donc connaître des déséquilibres durables et l'intervention de l'Etat apparaît nécessaire ; le courant keynésien est interventionniste.

Depuis le rachat de Bear Stearns par les contribuables américains et leurs créditeurs chinois, même les anciens "libéraux" sont de facto des interventionnistes, même s'ils ne le reconnaissent pas. Tout sera donc une question de degrés, même si la balance penche en ce moment vers l'interventionnisme.

La véritable question posée, du point de vue politique, par cette distinction, me semble être celle du prix humain qu'une société est prête à payer pour entretenir la "pureté" toute libérale de ses marchés. L'implosion de l'une des plus grandes banques mondiales n'était pas acceptable aux yeux des autorités étatsunisiennes; elles sont donc intervenues.

Et voilà la question véritable : la société est-elle préparée à accepter les souffrances produites par des "fins de cycle", ces périodes entre le moment où quelque chose est cassé, et le moment où le marché pourrait "absorber" les dégâts. Quand le déclin de la métallurgie met un très grand nombre de travailleurs au chômage, que faire si le "retournement du marché du travail" qui devrait "résorber" ces chômeurs tarde à venir, ou ne vient qu'à la fin de la vie de toutes ces personnes qui l'auront passée dans la misère? L'économie libérale est faite de ces cycles de déstruction et création, mais on ne sait jamais quand la phase "création" va revenir, ni qui va en bénéficier. Quel prix faut-il payer? Sommes-nous prêts à accepter que nos métallos vivent dans la misère jusqu'à la fin de leurs vies, ou bien pensons-nous que c'est là un prix trop élévé?

(à suivre...)