27 février 2009

La concentration du pouvoir économique au service de...

Par pur esprit de sacrifice, je continue à lire Les Échos pour vous éviter de le faire. À vrai dire, en ce moment, c'est une lecture assez intéressante dans la mesure où les auteurs ne s'embarrassent pas des considérations "sociales" pour se concentrer sur l'essentiel : le pognon, l'oseille, le fric, les sous, la thune...

Depuis quelque temps, je m'inquiète de ce fonds souverain que Nicolas Sarkozy proposait, pour protéger "nos" groupes des méchants étrangers qui pourraient profiter de la baisse des cours pour se les accaparer. Le caractère mondial de la crise actuel semble échapper à nos dirigeants : la plupart des méchants étrangers ont aussi des problèmes de trésorerie, la valeur de "nos" groupes est tout sauf certaine (Renault est classée dans la catégorie "junk" déjà). Bref, l'opportunité de cette démarche ne semble pas aller de soi. Les mauvais esprits sont tentés d'y voir une nouvelle forme de colbertisme. Et les très mauvais esprits penchent même vers l'hypothèse d'une nouvelle technique pour tout simplement soumettre l'État et les contribuables à une élite financière et, accessoirement, industrielle.

Étrangement, je n'avais pas vu passer la véritable création de ce fonds souverain, qui s'appelle le Fonds stratégique d'investissement, ou même le FSI, ce qui en fait presque l'égal du FMI. C'était en décembre. Le FSI appartient donc à la Caisse des Dépôts et Consignations (51%) et l'État (49%).

Je apprends tout cela, donc, grâce aux Échos, à l'occasion de la première intervention du FSI, qui part sauver Valeo. (Les Échos, jeudi 26 février, page 19.) En somme, le FSI a acheté 2,35% de Valeo, ce qui s'ajoute aux 5,98% qu'avait déjà la Caisse des Dépôts et Consignations. Mais même avec 10,5% des droits de votes, la France se trouve toujours distancée par Pardus (pardieu), un fonds américain "qui avait cherché longtemps à infléchir la stratégie du management, avant de se montrer moins pugnace". (Méchants. "Aggressifs" ?)

Nous apprenons des choses intéressantes. Si vous voulez être sauvé par le FSI, il vaut mieux faire partie du même monde : "Gilles Michel, directeur général du FSI [...] connaissait bien Thierry Morin, PDG de Valeo, en tant qu'ancien patron de Citroën." Bon à savoir.

L'État arrive, pourrait-on penser, à temps, car chez Valeo ça va assez mal. Le groupe a perdu 207 millions d'euros l'année dernière. Une bricole, sans doute, au vu des pertes à venir, mais sûrement pas bon signe. Du coup, on apprend que Valeo venait déjà de supprimer 5000 postes et 6000 contrats d'interimaires. (Ne comptez pas sur Les Échos pour verser des larmes à propos de ces postes. C'est la restructuration, que voulez-vous?) Rien ne semble indiquer qu'il y ait la moindre dimension sociale dans ce projet. Je me trompe peut-être...

Enfin, il y a le problème du pognon. Le FSI envisage de se gonfler considérablement.

"Quand nous serons sollicités pour une opération de plusieurs milliards d'euros, il faudra sans doute se poser la question du dimensionnement total du FSI", indique Augustin de Romanet, le directeur général de la CDC.

J'adore le "sans doute". Ce machin aurait donc l'ambition de devenir énorme. L'État va continuer à investir justement dans des sociétés dont personne ne veut (Valeo est dans la catégorie du junk désormais). Massivement. Car le patriotisme économique consiste surtout à soutenir les courbes de nos fleurons. Le reste, ce n'est que des détails.

Et j'ai encore quelques questions. Par exemple : d'où vient tout cet argent ? Et quelle sera la conséquence à long terme de cette nouvelle forme de concentration du pouvoir économique et politique ?

26 février 2009

Y a-t-il des RTT pour sauver l'économie ?

Le problème, en France, c'est qu'on ne travaille pas assez. Vous le saviez déjà, mais avec 90.200 fainéants de plus en un mois, l'analyse de notre Très Grand Homme (TGH) n'a jamais paru aussi pertinente.

Sur la deuxième page des Échos de ce matin, il y a un petit entretien avec Xavier Lacoste, "Directeur général du cabinet Altedia". Je n'ai pas d'accès internet en ce moment, et ne peut pas aller voir qui est Xavier Lacoste, mais je vais supposer qu'Altedia n'est pas une boîte de conseil pour chômeurs et autres démunis.

Quelques extraits:

Pour l'instant, le changement de conjoncture n'a pas modifié [le] comportement [des entreprises].: les DRH n'ont pratiquement pas recours aux dispositifs d'amortissement interne, qui permettraient de limiter les licenciements. Hormis quelques secteurs [...], les entreprises n'envisagent pas encore de réduire leur temps de travail pour limiter les licenciements. Les accords de RTT défensifs étaient largement utilisés à la fin des années 1990, pour amortir le ralentissement de l'emploi. Mais pour une partie du Medef ou de la CGPME, ils semblent constituer un péché abominable.

Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ? Les 35 heures et les RTT pourraient sauver l'économie (en sauvant un certain nombre de salariés du chômage), mais ont été tellement diabolisées par Sarkozy, le MEDEF et l'UMP que les entreprises préfèrent licencier... "Les 35 heures, ça a été une catastrophe..." Ne l'oubliez pas.

Mais pire encore, Xavier Lacoste s'en prend carrément au "Travailler plus pour...":

En période de crise, il serait pourtant légitime de mettre en oeuvre des solutions de crise. Le gouvernement pourrait renoncer aux heures supplémentaires défiscalisées, mises en oeuvre en 2007 dans un contexte d'expansion économique, au profit d'exonérations de charges liées à la réduction du temps de travail. Tout doit être fait pour que les licenciements économiques constituent un dernier recours.

Là vous êtes en train de vous dire : l'Omelette se trompe, sa marchande de journaux communiste a mis un feuillet de l'Huma dans les Échos. Eh non, les marchands de journaux ne sont pas des anciens communistes, mais des petits chefs d'entreprises. Xavier Lacoste n'est pas Robert Hue.

Non, nous sommes bien dans l'efficacité de l'entreprise. Le signe qui ne se trompe pas : "heures supplémentaires défiscalisées, mises en oeuvre en 2007 dans un contexte d'expansion économique". Xavier Lacoste est simplement dans la logique de l'intérêt des entreprises, et l'intérêt général : trop de licenciements font rétrécir l'économie, suscitant d'autres licenciements et ainsi de suite.

C'est donc la révolution, même dans les pages des Échos. Je n'arrive pas à penser à un désaveu plus complet du sarkozysme. Mine de rien.

(Update après avoir trouvé un hotspot : Altedia a peut-être une petite orientation "sociale". Pourtant, ce cabinet de conseil se dit simplement : "groupe de conseil en management, ressources humaines et communication". Ce même Xavier Lacoste aurait osé dire au Figaro : "Certains plans sociaux ne sont pas rationnels". Intéressant.)

24 février 2009

Ségolène Royal en Guadeloupe

Même l'UMP serait d'accord, j'en suis presque certain, pour dire que la situation en Guadeloupe est assez complexe. D'ailleurs, l'UMP serait sans doute encore plus d'accord aujourd'hui qu'il y a quelques semaines. Je ne prétends pas comprendre ce qui se passe là-bas plus que quiconque, et me contente de constater le désarroi profond du Pouvoir devant cette contestation.

La question coloniale et post-coloniale avaient jusqu'à présent, dans l'essor politique de Nicolas Sarkozy, joué un rôle important, un rôle stratégique : l'exploitation de la xénophobie lui a fait obtenir le soutien d'électeurs prêts à voter contre leurs propres intérêts économiques et sociales, mais très sensibles à ces questions dite, très délicatement, "d'identité". Identité nationale.

Comment faire, cependant, quand on n'est plus candidat et qu'il ne suffit plus de séduire la moitié seulement de la population ? J'imagine que l'espoir initial, la réaction initiale, était d'espérer que l'opinion de la majorité "petit blanc" se retournerait contre la contestation guadaloupéenne. Quelques semaines plus tôt, Sarkozy espérait que la haine du fonctionnaire fainéant servirait à isoler et écraser les enseignants-chercheurs. Soudain, crise économique aidant sans doute, il semblerait que la population s'identifie davantage à ceux que le Pouvoir cherche à dégraisser ou à dompter, qu'à celui, fût-il Très Grand, qui promettait monts et merveilles si seulement il pouvait entreprendre son vaste programme de casse sociale.

Les Antilles sont, paraît-il, assez loin de la métropole. Mais quand on dépense 280 millions (via Juan) pour avoir son propre Air Force 1, la distance ne doit pas poser un énorme problème. Pourtant, le Pouvoir se contente d'envoyer Yves Jégo, comme si franchement la Guadeloupe était trop loin et trop dangereuse pour quelqu'un de plus important. Car Yves Jégo, si ce n'est pas (ça a été prouvé) un apparatchik, est devenu un simple émissaire. Le Pouvoir reste bloqué dans une logique purement coloniale, un conflit qui se passe ailleurs. Pas tout à fait chez nous.

A ce titre, la malheureuse réaction de Martine Aubry était typique de cette attitude: "Je crains effectivement que le sentiment de ras le bol des Guadeloupéens et des Martiniquais se diffuse ici". Ici et là-bas. Ce serait grave, ici. Même si, bien sûr, son intention était de critique l'absence d'action de la part du Chef de l'État.

Et soudain, Ségolène Royal apparaît en Guadeloupe. Nous sommes habitués maintenant à ce que la moindre déclaration de "l'ex-présidente" suscite des réactions excessives. Il faut bien savourer celle du MEDEF local :

L'UMP locale a parlé de "récupération politicienne", tandis que le Medef guadeloupéen assurait ne pas avoir besoin "de politiciens arrivistes, qui viennent nous donner des leçons", invitant la présidente de Poitou-Charentes à "se casser".

Par sa présence, Ségolène Royal a montré que l'on pouvait franchir cette énorme distance entre "ici" et "là-bas", et même en tailleur. Une belle démonstration politique. Et la preuve que le système-Sarko est bel et bien en miettes. Finies les interventions pompeuses où le Très Grand Homme (TGH) débarqué au Tchad, par exemple, pour résoudre lui-même avec ses mains de gladiateur des problèmes qui dépassaient les compétences des intermédiaires. Désormais, il faut des centaines de policiers pour effectuer le moindre déplacement dans des zones rurales de l'Hexagone.

Alors : usurpation ? détournement ? imposture ? manoeuvre politique ? Insincérité de l'ex-Madone ? A quel personnage politique demande-t-on d'être véritablement sincère ? Le geste de Ségolène Royal a supprimé la fausse distance et la fausse différence qui sont celles du mensonge (post-)colonial, qui consiste à dire que là-bas c'est pareil qu'ici, tout en sachant que là-bas ne sera jamais tout à fait pareil qu'ici.

22 février 2009

La bulle est plutôt dans les esprits

Quand il veut faire "pédagogique", Nicolas Sarkozy dit "premier élément", "deuxième élément", etc. Il faudrait lancer un jeu-concours pour trouver l'intervention où l'on arrive au plus grand nombre d'"éléments". Je serais étonné s'il dépassait les quatre éléments. J'ai entendu Hortefeux dire des "éléments", ce que j'ai pris pour la preuve que c'est un usage profondément sarkozyste.

Permettez-moi donc de suivre leur magnifique exemple.

Premier élément : la SocGen et la BNP, après avoir reçu le soutien de l'État pour survivre à la crise financière, annoncent plus d'un milliard et demi de dividendes pour leurs actionnaires, le justifiant ainsi :

Pour SocGen et BNP Paribas, toutes les deux bénéficiaires, le choix est simple. "Il faut récompenser les actionnaires qui ont souffert de la baisse de l'action". Donc, on verse un dividende.

Ceci ne semble pas provoquer d'émotion particulière du côté de l'Élysée.

Deuxième élément : au tout début de la crise, Nicolas Sarkozy avait proposé la création d'un fonds souverain qui permettrait aux États européens d'investir en leurs propres entreprises, afin de maintenir artificiellement leurs cours en bourse. (J'en avait parlé à l'époque.)

Troisième élément : le plan dit "de relance", à part quelques "mesurettes", soutient essentiellement la trésorerie des entreprises, leur permettant de maintenir, encore une fois, leurs cours malgré les inévitables baisses d'activité.

Quatrième élément : la baisse de l'activité (crise économique) sera due à l'éclatement de la bulle spéculative (crise financière). Tout le monde semble d'accord pour dire que cette bulle est la conséquence d'un système qui, à travers l'endettement à tout-va, a décroché la finance de la réalité économique.

Cinquième élément : non, c'est fini. Il n'y en a que quatre.

Avec tous ces éléments, on voit bien que ce qui intéresse le Pouvoir, c'est la valeur boursière des grands groupes "français". Que ce soit l'obsession de la droite n'est guère étonnant. C'est même pour cela que la droite existe. Mais ce qui est plus inquiétant, insidieux, c'est cette tentation permanente d'utiliser l'État pour soutenir non la production (il n'y a pas de demande), non la consommation (on s'en fout, ce sont des pauvres) mais simplement la valeur des entreprises.

Je cite à nouveau cet extrait des Cordons de la bourse :

Pour SocGen et BNP Paribas, toutes les deux bénéficiaires, le choix est simple. "Il faut récompenser les actionnaires qui ont souffert de la baisse de l'action". Donc, on verse un dividende.

Malgré une crise financière internationale sans précédente qui frappe la quasi-totalité des banques, les directions de ces deux fleurons doivent d'abord remercier leurs actionnaires d'avoir "souffert de la baisse de l'action". Dans un monde véritablement "ultra-libéral", la réponse serait évidente : vous, les actionnaires, vous avez parié sur le mauvais cheval, vous allez perdre un peu de vos sous. Et arrêtez de renifler comme ça. Malgré la situation catastrophique et le besoin d'assurer leurs fonds propres, et tout en acceptant l'aide généreuse de l'État, il a fallu malgré tout payer les actionnaires pour éviter qu'ils abandonnent leurs titres SocGen et BNP.

La bulle vient précisément de cette attitude. Les grandes sociétés s'interrogent, mais la plupart semblent penser qu'il est plus important de s'enfoncer dans la dette plutôt que de se fâcher avec les actionnaires.

Dorloter des actionnaires déjà refroidis par le plongeon des marchés, garder un maximum de liquidités pour traverser la crise et ne pas abîmer son image publique, l'arbitrage est délicat. Et les discours variés.

Si Lakshmi Mittal affirme que "tout le monde doit participer" aux efforts contre la crise, Pierre Gadonneix, patron d'EDF, veut avant tout "garder la confiance" des actionnaires.

En fait, "cela dépend des rapports de force entre actionnaires et dirigeants", estime Arnaud Riverain, responsable de la recherche chez Arkéon Finance.

A ce jour, seuls Renault et Alcatel-Lucent ont décidé de ne pas verser de dividendes cette année. (Source)

Renault ne versera pas de dividendes. Encore heureux, car ses titres viennent de passer dans la catégorie "junk"...

Sixième élément : visiblement, aussi bien pour Nicolas Sarkozy que pour les capitaines de l'industrie, aucune leçon n'a été apprise. La réalité reste financière. Ce qui compte, c'est le chiffre magique qui attirera l'investisseur. L'économie continue d'être secondaire.

Septième élément : le mot "économie" vient du grec oikos, la maison ou la maisonnée. Nous en sommes très loin, encore.

20 février 2009

L'offre dont personne ne veut

Sauvons d'abord les entreprises, on verra plus tard pour le reste. Telle est, sans même exagérer beaucoup, l'image du plan de "relance" de Nicolas Sarkozy. Non, je n'exagère pas, car il suffit d'écouter Laurence Parisot, qui s'exprime très clairement sur le sujet :

"La priorité des priorités aujourd'hui, c'est de sauver des emplois" donc "des entreprises", a affirmé mercredi la présidente du Medef Laurence Parisot, quelques heures avant une réunion avec les syndicats autour du chef de l'Etat pour rechercher un accord face à la crise.

Et elle reprend l'argument contre la relance de la consommation que l'UMP sert vraiment à tout les sauces depuis quinze jours :

Elle a également dit "souhaiter que la consommation tienne bon en France". "Mais il y a un ordre des facteurs", selon elle, et "la priorité c'est maintenir l'investissement" et non relancer la consommation, ce qui va stimuler les importations et "relancer l'économie en Chine, en Asie ou hors de France".

C'est la ligne. On a beau démystifier, réfuter, rien n'y fait. Il suffit de renchérir sur la crainte des importations (déjà invoquée lors du débat sur la "TVA sociale" - souvenez-vous de la TVA "anti-délocalisation") auprès de consommateurs qui savent bien que désormais tout est "made in China".

Voir les choses ainsi, c'est les voir uniquement du point de vue industriel. "Nos usines" contre les leurs : usines chinoises, coréennes, indonésiennes. On sait bien, pourtant, que, lorsque le consommateur achète son écran plat, la fnac se prend une grosse part. Et je suppose des fournisseurs, transporteurs et autre intermédiaires dont on devine bien l'existence. Sans parler des presque 20 % de TVA qui part directement au Trésor Public.

Le problème, du point de vue de l'industriel français, c'est toutes ces thunes ne reviennent pas directement au producteur, elles se diffusent dans la nature. Pas directement dans le portefeuille du capitaliste chinois, mais simplement dans l'économie.

Sans entrer de plein pied dans le débat économique, l'accent que l'UMP-MEDEF met sur l'investissement côté offre traduit une vision de la société où ce qui compte ce sont les producteurs, les gens étant dérisoire, de l'argent mal dépensé. De l'argent à la poubelle.

En revanche, sponsoriser l'industrie, "sauver" les entreprises, comme le dit Laurence Parisot, ces entreprises qui n'ont pas de commandes parce que personne ne veut consommer leurs produits, ces entreprises à la rigueur ne peuvent pas investir. Sans commandes, elles ont quand même tout intérêt à se débarrasser de tous ces ouvriers en surnombre, payés pour ne rien produire puisque personne ne veut rien acheté. Avec les aides de l'État, ces entreprises ont surtout intérêt à garder tranquillement l'oseille.

J'ai l'air un "gaucho" ? Prenez le dernier exemple en date : la BNP et la SocGen qui donnent tranquillement et respectivement 912 millions 700 millions d'euros à leurs actionnaires. C'est comme pour le Paquet et le Bouclier : donnons de l'argent à ceux qui en ont déjà, pour qu'ils puissent investir... à l'étranger, si ça leur chante. En Chine même.

En somme, nous allons traverser une grave crise économique. L'État soutiendra les très grandes entreprises qui pourront maintenir leurs cours en bourse et leurs trésoreries. L'industrie pourra faire le dos rond. Le peuple se débrouillera pour survivre.

19 février 2009

L'assisté et sa 535i

Vous êtes, avec des amis, en train de prendre un verre sur une terrasse, sans doute en train de vous demander si vous pourriez prendre un verre de plus si la TVA n'était pas à presque 20 pour cent. Soudain, une grosse bagnole, sans doute de marque allemande, s'arrête devant vous, se gare peut-être avec une petite trace d'énervement. Un type en costard sort, bien habillé, sûr de lui. Il est parfois accompagné d'une femme en Chanel ou en Dior, impeccablement coiffée, souvent pas mal plus jeune que lui d'ailleurs, mais pas toujours.

Les yeux rivés sur ses propres affaires, le conducteur active la télécommande de la condamnation centralisée des portes et s'en va, peut-être vers un café plus huppé que le vôtre. Par sa manière de se comporter, sans jamais lever les yeux vers ceux qui de la terrasse l'observent, il est évident qu'il se sait regardé, et que c'est même un plaisir pour lui de sentir l'envie éprouvée par les autres mâles : "ça doit être pas mal de conduire une voiture comme celle-là". Sans jamais reconnaître l'existence de son public, notre cadre supérieur (et, parfois, son accompagnatrice) disparaissent dans une autre rue, laissant devant vous le magnifique symbole de sa supériorité sociale.

Voilà quelqu'un qui a réussi, qui aura sa Rolex bien avant cinquante ans. Il a voté Sarkozy parce que, entre autres, il est d'accord qu'il faut arrêter de payer pour tous ces assistés. Lui, en tout cas, ne veut plus payer pour eux. Lui, en tout cas, préfère prendre un modèle au-dessus quand il change de voiture plutôt que de payer pour des assistés, y compris pour les fonctionnaires qui sont des assistés faisant semblant de travailler, y compris pour les profs qui cumulent ces défauts et bien d'autres encore. Bref, il n'a pas très envie de se séparer de son argent qu'il mérite, lui.

Celui que vous avez vu sortir de sa grosse BMW, nous l'avons retrouvé. Il travaille dans la banque, ou dans les assurances, ou dans l'immobilier ou encore dans l'investissement conseil, quelque chose dans ce genre. Il vient de perdre beaucoup d'argent depuis six mois et sera sans doute obligé, l'année prochaine, de ne pas prendre un modèle au-dessus, ou même de descendre dans les série 3. Dur, je sais.

Le plus gros changement dans sa vie lui échappe encore, cependant. Personne ne lui a encore expliqué, noir sur blanc, la réalité de sa situation. La transformation est déjà en train de se faire pourtant. Inexorablement. Petit à petit, la vérité va éclater. Vérité insupportable qui sera aussitôt refoulée, déplacée. Mais voilà. Il est devenu, lui aussi, un assisté. Pire encore, il devient évident qu'il était déjà un assisté depuis bien longtemps. Toute sa carrière, finalement aura été dans l'assistance. La Rolex, la 535i, le costard : tout était payé par les pauvres. Les pauvres de demain.

C'était un enfant de la bulle, cette expansion artificielle de la richesse. Maintenant les pauvres vont payer pour cette bulle et toutes les largesses qu'elle a permises. Les pauvres vont payer parce qu'ils n'ont pas le choix, parce que l'alternative est pire pour eux. Ils vont s'endetter pour que notre conducteur puisse au moins se payer une 330i l'année prochaine. Cet assisté avec sa Rolex.

18 février 2009

Blague sarkozyste de la semaine

Il paraît que Nicolas Sarkozy est tellement trop hypercompétent que quand il dit des bêtises, c'est mieux montrer qu'il est encore plus trop compétent que tout ce qu'on aurait pu croire.

Voici donc la blague de la semaine. Je l'ai vue d'abord dans Les Échos : "Partage des profits : l'Etat actionnaire invité à montrer l'exemple". J'étais mort de rire. Pas bêtes, du coup, les syndicats. Chiche, Monsieur TGH : nous sommes venus chercher notre tiers des bénéfices, puisque ça ne dépend que de vous. Air France-KLM, la SNCF, La Poste, Aéroports de Paris, peut-être même Renault... la liste est assez longue. Seule la RATP pratiquerait déjà, à peu près, les trois tiers sarkozystes.

Marianne2 l'a relevé aussi. Selon l'hébdomadaire, si la SNCF pratiquait cette politique emblématique du sarkozysme pur-jus, il faudrait donner un chèque de 2700 € à chaque cheminot, en plus des 200 € qu'ils ont déjà perçus :

Seulement voilà : 158000x207€ = un peu moins de 33 millions, soit 1/14e des bénéfices. On est loin du tiers promis, en vertu duquel la prime que la SNCF aurait dû verser se serait élevée à… plus de 2700€ par agent ! Détail important : en 2008, les cheminots avaient déjà touché 200€ pour des bénéfices annuels de plus d’un milliard d'euros...

A côté d'une telle prime, le régime spécial c'était de l'argent de poche.

Cette histoire des trois tiers a toujours été hautement ridicule. Sarkozy pensait pouvoir le proposer sans risque de le voir appliqué, tellement cela constituerait un handicap groupes français qui pourraient être amenés à s'y mettre. Dans ce cas, le Manager de la République n'aurait que l'embarras du choix pour botter en touche : il faut que ce soit appliqué au niveau européen, international ; c'est la fautes aux Tchèques, aux Américains, aux Coréens... etc.

Notre trop-compétent-pour-son-propre-bien chef de rayon avait pourtant oublié le statut ambigu des entreprises publiques, qui, si si, ont parfois elles aussi des bénéfices à partager.

Edit : lire aussi kamizole sur le sujet.

17 février 2009

L'argent pourri des banques est à nous, donc on doit payer pour eux

Dans mon dernier billet, j'insistais sur la gravité de la crise financière (et du coup économique), et sur l'obligation qu'avaient les États de l'absorber. Pourquoi ? Parce qu'on a laissé, pendant des décennies, les acteurs de la finance construire une bulle dont les proportions dépassent largement notre imagination. Les dettes des un justifiant celles des autres, le monde a produit un château de cartes qui est en train de s'effondrer. Les dettes cessent d'être des valeurs, mais continuent à être des dettes pour les créditeurs qui réclament ce qui est à eux mais qui n'existe plus. Car c'est ça : avec l'éclatement de la bulle, des énormes sommes d'argent qui devraient exister, ne sont aujourd'hui qu'un souvenir, surtout pour tous les créditeurs qui voudraient les retrouver.

On ne parle plus beaucoup des subprimes, tellement la situation actuelle dépasse la petite crise qui a lancé la grosse. Il paraît que les banques américaines s'acharnent encore sur les petits emprunteurs, pour récupérer quelques kopeks de plus, quitte les pousser à la faillite, récupérer des maisons qui ne valent plus rien, et à enfoncer leur économie un peu plus. Autrement dit, ces banques, même aujourd'hui, n'ont pas compris que leur intérêt (sans jeu de mots) était dans un apaisement de la situation. Mais la crise pousse chacun à agir de la sorte pour récupérer ses derniers sous et à participer à la détérioration collective. Tant pis pour les banques.

Mon billet donc a suscité au moins deux réactions assez semblable. Tout d'abord, l'excellent Monsieur Poireau a commenté ici même, pour dire :

Par extension, on peut considérer me semble-t-il que les actionnaires floués l'ont été de la même manière, se laissant bercer de douces illusions sur une rentabilité éternelle à au moins deux chiffres et retombant violemment sur le cul en découvrant la réalité.

Même question : pourquoi est-ce à l'État d'intervenir comme rembourser de tout cela ?

De même, chez Avec nos gueules, on repose à peu près la même question :

En clair, dans ce merveilleux processus de crise qui est le nôtre aujourd’hui, crise que beaucoup voyaient venir d’ailleurs, non seulement les prix montent (ce qui frappe les pauvres en premier, mais touchera vite les classes moyennes), le crédit est paralysé, les salaires stagnent, le chômage augmente, et en plus, il va falloir que l’on paie les conneries des banques avec nos revenus, puisque c’est sur eux que portent les deux impôts les plus importants, l’impôt sur le revenu et la TVA. [...] Personnellement, si je le pouvais, je laisserais crever les banques et leurs actionnaires, je te nationaliserais tout cela et je ne paierais pas ces dettes : les banquiers ont prêté n’importe comment, tant pis pour eux, qu’ils tombent, et les capitalistes qui ont passé l’argent avec. Malheureusement, c’est de l’utopie...

Eh oui, malheureusement... Mais la question est bien politique, et peut se penser en termes d'une lutte des classes (ou presque) : pourquoi faut-il que nous on paie pour eux tandis ce sont eux qui ont fait des énormes erreurs et ont triché, joué avec le feu, etc. etc. ?

Un peu plus et ma position n'aurait même plus l'air d'être de gauche.

Tout d'abord, le vrai scandale est ce qui a déjà eu lieu. Le scandale, c'était la bulle elle-même. Ceux qui se plaignaient de la "finance" passaient à l'époque pour des [utopistes][sego, "Ségolène"]. La finance a créé cette situation qui désormais la dépasse. Nous sommes aujourd'hui confrontés à la gestion des dégâts.

La véritable question droite/gauche en ce moment est entre des politiques de l'offre et de la demande. La droite propose une solution qui protège essentiellement les (grosses) entreprises qui pourront au moins survivre jusqu'à la fin de la crise. C'est inefficace, ne prend pas en compte la souffrance des gens de plus en plus exposés. Je reviendrai là dessus plus tard.

Et l'autre aspect droite/gauche dans cette histoire, c'est qu'elle montre bien que, même dans la sphère de la thune, le collectif est toujours aussi important.

Pour l'instant, je voudrais parler un peu plus du côté inévitable de l'intervention étatique. Aujourd'hui, il est accepté à peu près partout qu'il y a des ressources communes. L'air et l'eau, par exemple. Pendant des longues années, personne ne voyait pourquoi telle usine ne devait pas polluer l'air si, ce faisant, elle pouvait produire de la valeur. On a fini par comprendre, difficilement, que l'intérêt immédiat et individuel (produire en polluant) ne pouvait pas toujours primer sur l'intérêt collectif (respirer). Et seuls les États peuvent gérer de telles ressources, puisqu'il sera toujours plus rentable de ne penser qu'à soi sans penser aux autres. "Les autres" ont besoin d'une représentation quelconque pour protéger les intérêts communs.

Le "monde de la finance" a, à travers des pratiques irresponsables, gonflé artificiellement la quantité de l'argent dans le monde. Faire un mauvais prêt, c'est en quelque sorte fabriquer de l'argent puisque vous (le banquier) en donnez à quelqu'un (un pauvre, ou une banque devenue insolvable...) de l'argent là où il n'y a pas de valeur. Le système n'a fait que ça, pendant longtemps. Et on se rend compte aujourd'hui que cet argent est, malgré tout, à nous. La finance a pollué l'argent, a pollué la plupart des économies du monde. Et maintenant c'est aux États de tout nettoyer, non pas vraiment pour sauver les banques et les banquiers (enfin, si, mais c'est une autre histoire), mais parce qu'il n'y a plus d'autre choix.

Les banquiers ont bousillé notre argent, alors même que il n'était pas à nous. Mais on ne peut pas s'en passer. C'est comme ça.

15 février 2009

The Iceland Effect

Vous vous souvenez : c'était en octobre dernier. L'Islande était menacée de faillite nationale par ses deux grandes banques, sa monnaie était en chute libre. Le pays a demandé un emprunt à la Russie pour éviter la catastrophe. Je n'ai rien contre la pays qui nous a donné Björk, mais j'avoue qu'au moment l'histoire m'avait fait sourire. En essayant de sauver ses banques de leurs dettes, c'est le pays tout entier qui se retrouve menacé.

C'est le problème des petits pays :

La taille du pays, seulement 300000 habitants, limite les solutions. "Ce que nous avons appris (...) est qu'il n'est pas sage pour un petit pays d'essayer de jouer un rôle de leader dans le domaine de la banque internationale" a déclaré le Premier ministre Geir Haarde. (JDD)

Tiens donc.

Cela me rappelle une fable, mais je n'arrive pas à retrouver laquelle. Ce n'est pas Le boeuf et la grenouille ; je vois vaguement un animal qui essaie d'en manger un autre qui s'avère trop grand pour lui, avec des conséquences désastreuses. Ça vous dit quelque chose ?

L'Islande était trop petite pour avaler sa part de la bulle financière internationale. Dur d'être un petit pays avec des grosses banques, n'est-ce pas ?

Sauf que... sauf que... il devient de plus en plus évident que nous sommes tous des Islandais. Choquant, non ? J'explique.

Depuis le début de ce qui était alors la "crise des subprimes", il ne passe guère une semaine sans qu'on se rende compte que la surextension du monde de la finance était pire, encore pire, que ce qu'on imaginait. Et si vous lisez un peu la presse étrangère, cette impression est multipliée par dix. La France reste dans une bulle d'une autre sorte, une bulle de protection psychologique qui empêche de voir la profondeur du trou. Cette fois-ci, c'est Dagrouik qui m'a montré ce billet (en anglais) où est raconté une réunion avec des hommes d'affaires autrichiens persuadés que leur pays allait devoir demander l'aide de l'Allemagne pour éviter la faillite.

the German part of the contingent was amused at the Austrians' confidence that Germany would rush to their aid

Le billet en question cite ce papier du Telegraph qui cite à son tour un memo européen censé être confidentiel et qui souligne le danger de faillite qui menace les plus faibles États européens. Pas seulement l'Islande.

Pire encore :

The IMF says European and British banks have 75 % as much exposure to US toxic debt as American banks themselves, yet they have been much slower to take their punishment. Write-downs have been $738bn in the US: just $294bn in Europe.

En Europe, le pire, donc, est encore plus loin, encore à venir. Qu'est-ce qui nous dit que même les grands pays sont assez solides, assez riches pour absorber toute cette dette toxique ?

J'essaie de résumer : la grande bulle des dernières années peut être vue comme une multiplication démesurée des valeurs en circulation dans le monde, à travers une sorte de pyramide d'endettement (les métaphores pyramidales reviennent sans cesse en ce moment). Tant que tout va bien, les dettes s'équilibrent entre elles et l'expansion peut continuer. Mais à partir de la première inquiétude, la mécanique s'enraye ; chacun commence à chercher à récupérer ce qu'on lui doit. Il faudrait alors que tout l'argent fictif deviennent réel, ce qui est impossible. Alors c'est l'effondrement : l'argent fictif disparaît, les dettes remontent de créditeur en créditeur.

Nous sommes aujourd'hui dans l'effondrement. La question essentielle est celle de sa vitesse. Si demain il fallait que toutes les dettes soient remboursées, ce serait l'effondrement total et immédiat. Seule la possibilité de différer dans le temps cet effondrement permettra d'échapper aux conséquences les plus graves. C'est pour ça qu'il ne faut pas faire des billets de blog pessimistes : ça accelère le processus.

En nationalisant leurs banques, les islandais n'avait pas le choix. Tout était déjà joué. L'Islande s'endette pour gagner du temps. C'est ce que le reste du monde est en train de faire, plus lentement.

Hier je me demandais si Sarkozy avait vraiment une idée de comment organiser la sortie de la crise, outre les gesticulations et manoeuvres habituelles ("c'est pour ça qu'il faut aller plus vite dans les réformes"...[rires]). Son plan de relance est timide, n'est pas à la hauteur de la situation. On dit le plus souvent qu'il ne faut pas trop s'endetter, que la France est déjà bien suffisamment endettée. Malheureusement, il va falloir s'endetter beaucoup plus, car seule la dette publique peut effectivement différer dans le temps l'effondrement. La timidité n'aura d'effet que d'acceler l'effondrement.

Vous avez toujours rêvé d'habiter une île dans l'Atlantique du Nord ? Mettez vos bottes et vos gants, car il va faire froid.

14 février 2009

Y a-t-il un plan quelque part ?

La même semaine où les Américains annoncent un plan de relance de presque 800 milliards de dollars, l'Elysée a subi le fiasco, communicationnel et fiasco tout court, de ses aides aux constructeurs automobiles, suivi le lendemain par l'annonce, chez PSA, de suppressions d'emploi. "Maladroit" dit Éric Woerth.

Bien sûr, ce n'est qu'un prêt ; comme les cadeaux faits aux banques, on nous promet que tout cela ne coûtera pas une centime au contribuable. J'ai compris. On a quand même risqué de fâcher, une fois de plus, les partenaires européens (car PSA a eu le bon goût d'annoncer également qu'il y aura des licenciements ailleurs qu'en France) et de lancer un cycle protectionniste où chacun cherchera à protéger son bout de gras, rendant de plus en plus difficile le genre de coopération international qui, je l'entends de plus en plus, sera l'une des clés d'une issue de la crise.

Et qu'a-t-on gagné, avec ça ? Du côté de PSA et de Renault, il n'y aura pas de licenciement en France en 2009. Il y aura tout de même 3000 suppressions de poste. En termes de relance, donc, l'effet sur l'économie sera minimal. Des postes en moins, ce sont des postes en moins. Mais avec moins d'ouvriers en colère dans la rue et dans le poste, ce qui fait du bien quand on est Président de la R.

Le 1er janvier 2010 tombe un vendredi. C'est donc férié, après il y a le week-end, et le travail reprend le lundi 4. Croyez-vous sérieusement que PSA et Renault vont attendre le mardi 5 pour annoncer tous les licenciements qu'ils ne pouvaient pas faire en 2009 ?

A côté de cela, il y a la "timidité" du plan de relance français. C'est Marc Vasseur qui a trouvé les statistiques : le plan français pèse 0,7 % du PIB, celui de l'Allemagne 1,5 % de son PIB, celui des USA 1,9 % etc. La France se retrouve avec l'Inde et le Brésil, mais loin devant l'Italie (0,2 %). On se demande comment Sarkozy (1m68) va faire pour les photos lorsqu'il rencontrera Obama (1m87). Si les tailles des présidents reflétaient celles de leurs plans de relance respectifs, Nicolas Sarkozy ne mesurerait, si j'ai bien calculé, que 70 centimètres... J'essaie d'imaginer les talonnettes qu'il faudrait.

Tout cela est assez étrange et assez déconcertant. Quel est véritablement le plan Sarkozy pour la crise ? Il l'a dit : pas question de toucher à la TVA, cela pourrait relancer la consommation. Son "volontarisme" légendaire va-t-il se réduire au soutien de quelques grands groupes qui verront leurs cours s'effondrer un peu moins ? A-t-il compris l'envergure de la crise ? Pense-t-il qu'elle sera terminée à la fin de l'année ? S'agit-il de tenter de bénéficier des plans des voisins (Allemagne à 2,0 %, Royaume-Uni à 1,4 %) sans en faire un soi-même ?

Dans le prochain numéro : pourquoi il faut que ce soit l'État qui investisseconstruise vraiment.

12 février 2009

Profit

Il ne faut pas se réjouir du malheur des autres. Ce n'est pas gentil. Ou comme dirait notre Monocrate : c'est pas gentil. (Voilà, ça fait plus vrai, moins sachant, donc plus moderne. Ouf.)

Enfin, si. C'est moi qui décide. Quand il s'agit d'un Président de la R. dont on désapprouve à peu près chaque fait et chaque geste, c'est une exception, on a le droit de se réjouir. Ça fait du bien, c'est bon pour la morale des ménages.

Enfin, voilà : Sarkozy est au plus bas. Pire qu'après pov'con. C'est Le Point qui le dit :

avec seulement 36 % d'opinions positives dans le baromètre Ipsos, il atteint son score le plus bas depuis qu'il est testé par *Le Point* comme président de la République. Malgré tous ses efforts d'action et de communication, l'hôte de l'Elysée ne parvient pas à créer un climat de confiance autour de lui.

Pauvre petit... (Non, je ne faisais pas référence à sa taille, je promets.) Pas de "climat de confiance" ? C'est trop dommage. Trop dommage de voir que tous les efforts pour surfer sur la crise financière, se transformer en pourfendeur des banquiers à peu près dans le seul but de priver la gauche d'un discours qui, oui, lui appartient aboutissent à ce triste 36 %. En termes de rentabilité et d'efficacité, tous les contribuables peuvent être déçus : pourquoi payer autant pour s'offrir un TGH et un budget élyséen et des communiquants un peu partout si on n'est même pas médusés ?

Profitez donc de ces mauvais chiffres pour ce qu'ils ont de mauvais. Car, malgré tout, ils n'ont pas grand-chose de bon, non plus. Évidemment, je préfère voir Sarkozy à 36 % plutôt qu'à 37 %. Mais malheureusement ce n'est pas une défaite. Oui, une image se brise un peu plus; oui les "gens" se méfieront un peu plus. Mais la gauche, je veux dire le PS, reste toujours aussi inaudible, ne tire aucun profit de la situation. J'ai bien l'impression qu'à l'heure actuelle, 36 %, ce n'est pas beaucoup, mais c'est suffisant.

Alors, dans les instants de bloggage qui me tombent entre les mains en ce moment, je vais reprendre les gauchitudes que j'avais commencées l'été dernier. Promis juré. Car, si la déconfiture de Sarkozy et du sarkozysme peut servir à quelque chose, c'est sûrement en tant que contre-exemple magistral. Si, si : l'antisarkozysme primaire peut aboutir à quelque chose d'intéressant, j'en suis persuadé. En tout cas, il me paraît encore plus urgent que jamais d'inventer autre chose que du productivisme 2.0. Voilà : dites-moi "chiche".

Edit: Etrange problème de mise en page corrigé, sévèrement.

6 février 2009

Éloge de la bourde

Les trolls sarkozystes, comme celui-ci qui sévit depuis longtemps chez Dagrouik, aiment parler de compétence et de resultats, comme si le fait d'avoir une Rolex, ou encore, pardon, un Philippe Patek, prouvait quelque part l'efficacité des gesticulations. C'est vrai qu'avec une grosse montre, les gesticulations sont plus lourdes ou plus chères. Les résultats de Sarkozy sont loin d'être évidents, cependant, sauf à parler en termes de reconduites à la frontière, ce qu'un vrai troll sarkozyste n'hésiterait pas à signaler. Le vrai troll sarkozyste croit aussi, bien sûr, que la crise financière serait bien plus grave si la belle France n'était pas préalablement protégée par son magnifique bouclier fiscal et son tout aussi magnifique Paquet.

Alors, il faut, chers trolls, comprendre que les gauchistes inefficaces que nous sommes ont du mal à ne pas rigoler un peu quand on voit que le Super-Héros qui a généreusement accepté d'être Président de la R. ne peut pas parler de sa propre politique économique sans créer un incident diplomatique. Voici ce que nous dit notre Monde :

"Dans un entretien de 90 minutes diffusé simultanément sur trois chaînes de télévision hier soir, rapporte vendredi le quotidien britannique, le président français a déclaré qu'il ne répéterait pas les 'erreurs' économiques de la Grande-Bretagne, avant d'ajouter que la baisse de la TVA du premier ministre n'avait pas marché du tout." L'Elysée aurait aussitôt tenté d'éteindre le début d'incendie diplomatique en s'entretenant au téléphone avec le 10 Downing Street, mais les services de Gordon Brown cachent mal leur irritation : "l'Elysée nous a assurés [vendredi] matin que ces remarques ne constituaient pas des critiques de la politique économique britannique – c'est sympathique", a lâché un porte-parole du gouvernement à Londres.

Reuteurs est un peu plus clair :

French President Nicolas Sarkozy angered the Czech Republic, which holds the EU presidency, and drew a frosty response from Britain on Friday over disparaging comments about two key European partners.

[...]
And his jibe about British tax measures to combat the financial crisis achieving "absolutely nothing" struck a nerve that has had British officials privately fuming.

Un manager hyper-compétent qui maîtrise tous ses dossiers ainsi que sa propre parole sait ce qu'il fait. Quand on tape sur les Anglais, il faut mesurer ce que l'on gagne et ce que l'on perd. Côté passif, il y a le fait d'attiser l'euroscepticisme dans un pays qui aurait surtout besoin d'être rassuré que les Continentals ne vont pas venir chez eux leur dire comment conduire leur politique économique. Et pour l'actif ? Eh bien... notre Très Grand Homme (TGH) a réussi à s'en sortir à la télé avec une pirouette de plus. Il faut dire que ça vaut son pesant de Patek Philippe. Tant pis pour les British.

C'est à croire que la réalité télévisuelle prime sur toutes les autres. Devant la caméra, le TGH devient cette créature en empathie avec ces Français qu'il imagine "moyens" et dont il suppose qu'ils se fichent royalement des Anglais et de Gordon Brown, qui n'est même pas Tony Blair. La téléréalité prime sur les autres réalités. Peu importe les conséquences. Quand on est président de la R., on a bien mérité le droit de dire n'importe quoi pour sauver la figure.

S'il était permis de douter, même un tant soit peu, de la compétence de notre Hypermonarque, certains n'hésiteraient pas à qualifier la petite phrase de Sarkozy de bourde, à inscrire dans une longue liste de bourdes.

5 février 2009

Aplatir, dit-il

Depuis quelques semaines nous voyons fleurir des excellents textes écrits par des chercheurs pour défendre la recherche et l'enseignement en France. A tel point que l'humble blogueur ne voit pas toujours ce qu'il pourrait rajouter. La volonté de casser les institutions, de précariser les chercheurs et les enseignants, de prendre le dessus sur toute cette intelligence finit par ne pas sembler rationnel du tout. L'humble blogueur s'interroge sur les motivations profondes et obscures.

J'avais parlais de la pyramide dans mon dernier billet (il y a... presque un mois...) sarkozyste, et du fait que pour le sarkozyzme, il est insupportable qu'il existe des domaines qui échappent à une hiérarchie sociale et économique faite uniquement de relations de domination (surtout économique) et de rapports de force. D'où une suspicion permanente à l'égard de la justice et de l'éducation, notamment. Il faut les dominer, les mettre sous tutelle ! Il est insupportable que des juges puissent mettre en danger nos grandes entreprises. Il est insupportable que des "profs" forment notre jeunesse sans être guidés par les lois et l'esprit du marché. Il est insupportable que des chercheurs puissent chercher n'importe quoi sans que ce soit le Prince l'ait expressément voulu. A quoi ça rime ?

En somme, il n'y a qu'un seul langage. S'il y a une pyramide avec au sommet une caste de dirigeants rich and powerful, il y a aussi un aplatissement. Rien en dehors du discours dominant, pas d'intelligence ni de justice indépendants.

Pour la culture, on sait que Sarkozy affectionne la culture télévisuelle à succès. J'entendais sur France Info hier, en passant, quelqu'un dire que ce qui intéresse Sarkozy dans les médias, c'était la réussite. C'était pour expliquer son choix de RTL pour son entretien radiophonique, RTL étant la radio la plus populaire. Voilà de l'intelligence que l'on peut mesurer. L'intelligence qui se convertit instantanément, ou presque, en fric. Intelligent comme la Star Ac'.

De temps en temps, il m'arrive de me retrouver dans l'une de ces conversations où, soudain, mon interlocuteur prend pour acquis que c'est quand même un peu ridicule que l'État paie pour, par exemple et au choix, soutenir l'étude des langues anciennes, proposer des diplômes d'art plastique, étudier La Princesse de Clèves, bref toutes sortes de choses qui ne servent à rien, qui n'intéressent à peu près personne, etc. etc. etc.

Pour défendre ces politiques, on ne peut plus s'appuyer sur l'humanisme comme valeur. Évidemment. L'humanisme n'est plus tellement vendeur, il va falloir s'y faire. J'essaie de dire, dans ce genre de conversation, que la recherche, même celle qui concerne les "choses inutiles dont tout le monde s'en fout", maintient le niveau d'un pays, en essayant d'invoquer l'esprit patriotique : "tu as envie, toi, de vivre dans un pays où la plus haute culture est celle de TF1 ?" Ce genre d'argument ne prend pas en général, mais je l'aime bien quand même.

La question n'est pas celle du patriotisme, d'ailleurs, mais celle de l'uniformité de la pensée, du savoir. En cassant les institutions, en affichant un mépris profond pour les chercheurs, en espérant que le bon peuple le rejoindra dans ce mépris pour des fonctionnaires évidemment fainéants, Sarkozy et les siens cherchent, même s'ils ne se l'avouent pas, à nettoyer, avec un Kärcher d'un autre type, les esprits et les discours. Le but de l'opération est bien sûr de venger une certaine droite des blessures que l'intelligence lui a infligées depuis des décennies, et surtout d'en finir avec autre forme d'altérité, une autre sorte de contre-pouvoir qui échappait encore à l'Axe argent-pouvoir.