14 mars 2011

Raclons-nous la gorge avec Marine Le Pen

Quand je reprend ce blog après des absences même courtes, je ressens toujours un besoin de commencer en me raclant la gorge. Quel meilleur sujet pour se racler la gorge que l'effet sondagier de Marine Le Pen sur les enjeux de l'élection présidentielle à venir. Tout le monde en a parlé déjà (Juan, Dagrouik, Marc, pour commencer), mais, sous prétexte de raclement, j'y vais aussi.

Sur le fond, je ne suis pas surpris. J'y pense depuis l'élection à Hénin-Beaumont en 2009. C'était Marc Vasseur qui y était et qui avait vu juste :

résent au siège du Front National, trois éléments m’ont particulièrement marqué: Marine Le Pen revendique la captation d’une partie non négligeable l’électorat traditionnellement de gauche sur font de crise sociale. A aucun moment, elle n’a parlé de l’immigration. Enfin, elle veut faire sienne la nécessaire remise en cause des pratiques politiques au-delà, du seul « tous pourris ».

Le laboratoire héninois peut faire apparaître un nouveau Front National en profitant de la lente déliquescence du PS à travers un discours tourné davantage vers l’électorat populaire. Celui-là même qui après avoir transité un temps vers Nicolas Sarkozy, peut demain se tourner, plus durablement et à nouveau vers le FN.

Le succès du FN version Fifille est l'échec de la gauche, et du PS en particulier, de proposer un discours audible et signifiant pour l'électorat populaire. Du temps de Mitterrand, il y avait le PCF pour faire ce travail, mais depuis rien. En disant "rien", je ne compte pas le fait d'aller serrer des mains sur les marchés.

Et mes contradicteurs PS pur jus (si j'en ai) diront, "mais si, le PS a essayé d'intégrer du sécuritaire anti-immigré" dans son discours. Enfin, non, ils ne diraient pas cela, mais ils le pourraient, en pensant à Chévènement en particulier. Et c'est là où l'on finit intégralement exaspéré. Oui, la sécurité pourrait être une question de gauche. Si la sécurité était vraiment la question. Car elle ne l'est pas, du moins lorsque la droite xénophobe – terme qui devrait servir à regrouper le Front National et une bonne partie de l'UMP – la sort à toutes les sauces, et surtout la sauce électorale. La "sécurité", version droite xénophobe, est une sorte de cruche où l'on verse tous les ressentiments, frustrations et paranoïas de l'aliénation post-industrielle. L'"immigration" est la même chose avec une dimension de nostalgie post-coloniale supplémentaire.

Bref, ni l'une ni l'autre ne sont des thèmes véritablement populaires, mais, pour une partie de la population, aussi bien de gauche que de droite paraît-il, c'est tout ce qui reste pour exprimer un désarroi grandissant. Désarroi, c'est important d'ajouter, qui n'est pas identitaire, qui ne s'explique pas par la présence de quelques burqas, mais qui est avant tout social, économique, politique. En ajoutant les pourcentages des chômeurs, de précaires et tous ceux qui se sentent économiquement menacés, il devient clair que le vivier pour un vote inquiet, égoïste et contestataire ne cesse de grandir.

Le succès de Sarkozy en 2007 était de mettre la main sur une partie de ce sentiment. Cela ne marchera pas en 2012 puisqu'il ne peut plus promettre de tout faire péter comme en 2007. Croyant toujours à sa bonne étoile et à son propre charme, il va tenter de jouer le tout pour le tout en jetant de l'huile sur le feu, avec les conséquences que l'on sait. Sarkozy perd, "son" discours gagne, mais au profit d'une autre qui est mieux placée.

J'espère que la gauche finira par comprendre que la seule solution face à ce discours est de le discréditer, et non pas d'essayer de montrer que, nous aussi on pense comme cela, juste un peu moins que l'UMP et beaucoup moins que le Front National. Le discréditer en le neutralisant : "vous êtes encore à parler de l'immigration, quelle bande d'andouilles ?" plutôt que "nous, on fera presque autant de charters, mais en classe affaires". Et, puis surtout, le discréditer en le remplaçant par un autre discours, par autre chose qui va répondre au désarroi, à l'inquiétude par quelque chose d'audible et de concret. Il ne suffit pas de savoir que le PS tente de défendre, dans la mesure du possible, les classes moyennes. Pour gagner des élections il faut proposer un grand tableau. "Tous propriétaires de vos HLM" était sans doute bébête, mais c'était surtout concret.

La fin du communisme et la mondialisation ont mis fin aux grands discours d'espérance. Il faut trouver autre chose. Pas des bêtises, il ne faut pas insulter les gens, mais une vision synthétique, compréhensible et positive.

Et, surtout, et là c'est très important car sinon tous vos efforts seront en vain, il faut absolument lancer ce discours le plus tôt possible. Il y a eu tellement de temps perdu, presque toute une génération. Il faut démarrer en 2008 si possible. 2009, c'est déjà un peu tard mais sans doute jouable. Dépêchez-vous.